Juste avant le lever du soleil, le monde semble sans relief, les ombres se mêlent aux formes qui leur appartiennent et la lumière terne ajoute un soupçon de mystère à tout ce qui nous entoure. Une nature en deux dimensions se dévoile au yeux du peuple encore endormi. Augustine adorait ce moment dont elle ne pouvait que rarement profiter. Dès le mois de mai, il lui arrivait de se lever aux aurores, uniquement pour le plaisir de contempler les éclats de lumières qui scintillaient à l'extrémité de chaque brin d'herbe. Les fleurs de trèfles rose et les marguerites offraient quelques touches de couleurs dans ces éclats intenses de blanc. Parfois, une courte averse venue de nulle part peignait un arc-en-ciel entre deux nuages cotonneux et un parfum d'humus envoûtait ses narines. Le plus souvent, elle se trouvait dans le bus qui la menait au collège, à ces heures-là, et elle savourait ces moments. Les premiers rayons affleuraient à l'horizon et effleuraient le pelage de lièvres qui batifolaient dans les champs. Mais le printemps était encore loin.
Lorsque son réveil l'extirpa de sa nuit sans songe, au petit matin donc, Augustine, à pas de loup pressé, s'habilla en hâte et s'échappa vite fait bien fait par la fenêtre de sa chambre. Elle chargea sa besace, huma l'air froid et étrangement sec, avant de s'élancer dans une course effrénée jusqu'à la forêt. Son souffle haletant l'enveloppait d'une légère buée blanchâtre.
Heureusement pour elle, ce jour-là, il n'avait pas gelé, donc pas de risque de glisser sur une plaque de verglas. Quand elle pénétra les bois, le soleil n'avait pas encore percé les ramures. Quelques timides lueurs s'échappaient seulement d'entre les rares nuages. Les bois adoptaient une parure encore plus extraordinaire que d'habitude. Ici, la brume s'élevait légèrement du sol, en suspension au-dessus des dernières plantes résistantes au froid, offrant une atmosphère mystique aux arbres centenaires teintés de gris coloré. Là le mouvement d'un petit mammifère, réveillé bien trop tôt de son sommeil hivernal, grattouillait la terre pour trouver de quoi assouvir la faim qui le tenaillait avant de se rendormir paisiblement jusqu'au printemps. Puis, un rayon rasant perça l'obscurité et illumina quelques basses branches nues et dévoila peu à peu la profondeur de la forêt. Il n'y avait rien de comparable avec ces instants privilégiés avec la nature. L'humidité des bois lui chatouilla le nez. Elle éternua.
La jeune aventurière admira encore une fois ce tableau mystérieux, digne du travail des peintres de l'époque romantique, qui savaient donner à leurs œuvres un côté féerique ; ils fascinait tellement la mère d'Augustine qu'elle lui en parlait régulièrement. Elle absorba ce paysage dont elle aurait aimé pouvoir ressentir la moindre parcelle, dans lequel elle aurait aimé pouvoir se fondre, à l'image d'une Dryade qui déposerait son corps frêle sur une branche du plus vieil arbre de la forêt ou d'un lutin facétieux des bois, ces petits Korrigans. Vivre en harmonie avec la nature. La brunette resta un long moment à contempler cette magie du Vivant, jusqu'au moment où la fraîcheur de la brume perça ses vêtements. Elle frissonna. Il était temps de se remettre en marche, de s'activer pour se réchauffer. En suivant le sentier forestier, elle remonta alors la piste de la disparition de ses amis.
- S'occuper d'abord de Cédric. J'sais pas où il a disparu ni où il était quand il a été agressé début janvier, murmura-t-elle.
Au loin, des chiens aboyèrent férocement. Augustine se retourna vivement, elle se sentit traquée. Elle secoua la tête pour effacer cette idée de son esprit, elle ne devait pas se laisser distraire par une meute de chiens affamés autant qu'elle, elle regretta d'ailleurs de ne pas avoir emporté de casse-croûte. Seule sa mission comptait. Elle sortit sa gourde, avala une grosse gorgée et reprit son chemin, guettant la moindre trace de son ami. Au bout de quelques instants, elle abandonna l'idée de retrouver l'endroit précis où était Cédric au moment où il avait été agressé, il aurait pu se trouver n'importe où sur le sentier. Elle rejoignit donc le lieu où Valentine avait été enlevée et où elle s'était réveillée. Elle suivit le large chemin forestier, puis bifurqua à droite pour s'enfoncer dans la forêt sur un sentier qu'ils avaient trouvé le soir de leur promenade à trois et qu'il n'avaient jamais remarqué jusque là. Après quelques pas, elle sortit de la piste pour retrouver le lieu où elle s'était réveillée, pas très loin d'un vaste étang.
- Rien. Aucune trace.
La jeune fille soupira rageusement en donnant un coup de pied dans un tronc pourri. Il s'effrita sans difficulté, des aiguillons de bois volèrent jusqu'à plus d'un mètre de distance et recouvrirent les vieilles feuilles mortes. Plus Augustine arpentait cet endroit précis, plus elle ressentait une sensation bizarre, un picotement sur sa peau et des poils se dressèrent sur sa nuque. Un son mat la fit sursauter, elle se retourna vivement. Quelque chose venait de se passer. Le décor différait quelques secondes plutôt, elle en était convaincue. Elle examina le sol. Pas de trace. Elle examina les arbres. Pas de trace. Elle examina le tronc pourri. Pas de trace.
En faisant les cent pas, Augustine piétina frénétiquement le sol boueux sur lequel elle avait reposé cette nuit-là. Elle ne comprenait pas pourquoi le sol n'était pas marqué. Certes, il s'était passé quelques semaines, et des empreintes de pas auraient été effacées par le temps et la météo capricieuse de ce début d'année, mais il n'y avait même pas de traces de lutte, de branches cassées, ou quoique ce fût d'autre. Tout semblait intact, comme si rien ni personne n'était jamais passé par là, pas même un sanglier ou un cerf ni même une rafale. Tout était beaucoup trop parfait, immaculé.- Pas de trace ?
Sa voix se perdit entre les arbres.
Elle s'apprêtait à donner un nouveau coup de pied dans une souche, lorsqu'elle s'aperçut que se dressait devant celle qu'elle avait déjà frappée. Intacte. Intacte ? En lieu et place du vieux tronc pourri fraîchement pulvérisé et des aiguillons de bois propulsés, se tenait un tronc pourri intact et de l'humus recouvert de feuilles mortes, et uniquement de feuilles mortes.
- Mais c'est pas possible, s'énerva-t-elle. J'viens de marcher là et j'viens de t'donner un coup de pied à toi.
Elle désignait le tronc pourri.
- Comment tu peux être intact ? Y'avait des morceaux de bois partout. Ils ont pas pu disparaître comme ça ! Rien ne disparaît comme ça ! Rien ne disparaît sans laisser de trace !
Elle sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine et sa respiration s'accéléra brutalement jusqu'à presque l'étouffer. Penser à la magie était une chose, en rencontrer des traces, une tout autre. Ou alors devenait-elle folle ? Non, non, non, tout cela ne pouvait pas être uniquement dans sa tête, mais Augustine ne se sentait pas prête à ce que son monde imaginaire fusionne avec la réalité qu'elle connaissait. Elle voulait devenir scientifique, pas magicienne et encore moins sorcière ! Elle continua d'effectuer des aller-retours sur les lieux de l'enlèvement de Valentine, la végétation commença à se tasser sous ses pieds, puis, inévitablement, son empreinte sur l'humus disparut comme s'elle n'avait jamais existé, après un léger claquement presque imperceptible. Augustine s'enfuit alors en hurlant vers la cabane.À mi-chemin, essoufflée par sa course et ses hurlements elle s'arrêta. Elle n'avait pas parcouru beaucoup de distance, mais le terrain accidenté de la forêt, les branches, les trous et les feuilles mortes glissantes rendaient le parcours difficile. Pliée en deux, mains posées sur les cuisses, Augustine chercha à retrouver une respiration régulière ; l'air froid brûlait ses bronches. Se concentrer ainsi sur son souffle lui permit d'apaiser ses pensées. Aucun scientifique ne partait en courant devant un problème extraordinaire à résoudre, au contraire, le côté extravagant d'une expérience la rendait encore plus excitante. Elle devait retourner près du tronc pourri et suivre le sentier étrange ! Au moins un petit moment, simplement pour ne pas attendre Maël, calfeutrée dans la cabane et effrayée de tout. Augustine prit son courage à deux mains pour remonter sa propre piste jusqu'au chemin tortueux et partit à l'aventure. Seule.
![](https://img.wattpad.com/cover/195646308-288-k160406.jpg)
VOUS LISEZ
Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieuses
Fantasia🧙♂️watties fantasy 2020🧙♂️ Augustine Baudelaire, une jeune fille sans problème, voit sa vie bouleversée le jour où elle découvre ce qu'elle croit être une plante bizarre dans la forêt qui borde sa maison. Défiée par son ami Maël, elle croque un mo...