OUR FALLEN SOULS [FR] (High Enough) - tome 1

3 - Blake

Je débarque devant le bar crade de mon vieux, ma caisse qui ronronne de satisfaction après m'être barré de cette putain de conversation à la con. Bordel, il me fallait absolument m'éloigner de cette meuf avec sa gueule d'ange tout timide et naïve, on dirait qu'elle vient direct d'une foutue pub pour des culottes en coton.

Je gare ma caisse avec nonchalance, les pneus crissant sur le bitume défoncé. Je jette un coup d'œil au bâtiment, la façade écaillée laissant entrevoir les années de débauche qui se sont déroulées ici. Les néons fatigués, à moitié grillés, clignotent avec l'énergie d'un vieux bonhomme qui tente encore de donner un coup de poing dans l'air. Cet endroit, c'est pas le genre de bar à la mode, avec des mecs en costard. Non, ici c'est le repaire des âmes perdues, des poivrots désespérés qui noient leurs misères dans l'alcool bon marché.

Je pousse la porte en bois vermoulu et l'odeur de bière rance et de sueur me frappe de plein fouet. Les regards se tournent vers moi, des regards fatigués, abîmés par la vie, mais il n'y a pas d'hostilité. On se connaît tous ici, ou du moins on connaît nos démons respectifs. C'est un endroit où tu peux te permettre d'être toi-même, sans fioritures ni masques.

Je jette un coup d'œil autour de moi et je repère mes potes, Jared et Shawn, affalés sur les canapés défoncés du fond du bar. Jared, un grand gaillard aux bras tatoués, est en train de siroter sa bière avec une expression détachée. Ses yeux fatigués trahissent les nuits agitées qu'il a passées, et son regard se perd dans le vide, comme s'il cherchait à échapper à ses propres démons. Shawn, quant à lui, est en train de rouler un joint avec une dextérité presque mécanique. Un vrai expert en matière d'évasion psychédélique.

Je me dirige vers eux, enjambant des types avachis sur des tabourets branlants. Les conversations à voix basse et les rires étouffés remplissent l'air, créant une atmosphère de camaraderie un peu crasseuse. Les piliers du bar, les habitués qui ont passé des années à s'enivrer de ce lieu, me lancent des regards complices, comme s'ils savaient que je suis l'enfant prodigue qui revient toujours à la maison.

Putain de merde, cette vie, je l'ai jamais voulu. C'est plutôt mon vieux qui s'est chargé de me mettre la pression pour que je "gère" ses putains d'affaires. Et il a ses propres méthodes bien spéciales pour te foutre la pression.

Ce bar crade, c'était son rêve, pas le mien. Il m'a toujours dit que c'était notre héritage, notre foutue destinée de traîner dans ces murs dégueulasses.

Je me souviens de toutes ces soirées passées ici, à observer mon vieux enchaîner les verres comme s'il voulait noyer ses regrets. Il me regardait avec ces yeux brillants d'ivresse et me murmurait que tout ça, un jour, serait à moi. Ouais, quelle putain de perspective, hériter d'un bar paumé où les rêves meurent plus vite que les cafards ne se reproduisent.

Maintenant, c'est tout un autre délire. Je me retrouve à devoir gérer ce putain de bar pendant que mon vieux s'occupe de son business louche, fréquenté par des types que personne en sauraient fréquenter. Faut dire que Seattle, c'est une putain de ville corrompue, c'est clair. Les ruelles sombres et les quartiers mal famés sont remplis de magouilles et de trafics en tout genre. Les flics se font graisser

la patte, les politiciens sont plus véreux que des rats de canalisation, et les gangs font leur loi dans les coins les plus sombres de la ville.

— Tu m'écoutes ? me lance Jared d'un ton agacé.

Je lève brusquement les yeux vers lui, sortant de ma transe mentale. Pendant un moment, j'étais bloqué dans mes pensées, perdu dans les méandres de cette vie de merde.

Je secoue la tête pour me reprendre, tentant de rassembler mes esprits.

— Désolé, mec, marmonné-je d'une voix rauque.