𝐋𝐞 𝐩𝐫𝐢𝐧𝐜𝐞 𝐝𝐞𝐬 é𝐭𝐨𝐢𝐥𝐞𝐬 - 𝐒𝐋𝐆

Prologue - Not Sleepy

Apocalypse - Cigarettes After Sex

Tard dans la nuit, Nantes.

Le ciel pourpre surplombe la ville endormie, dont les rues sont éclairées par quelques lampadaires.

Chez les Sommet, certains peinent à trouver le sommeil. Peut-être la faute à l'air, encore lourd pour ce mois de juin. La maisonnée compte plusieurs fenêtres allumées, signe de l'éveil des habitants.

L'une des silhouettes fredonne doucement, face à son bureau. Sa main noircit des pages entières, peinant à contenir son élan créateur. Il a retiré la capuche de son kigurumi – il avait trop chaud. Une douce brise s'infiltre par sa fenêtre ouverte, effleurant sa nuque et ses cheveux châtains.

La langue tirée, il ne quitte pas des yeux les signes tracés à l'encre noire.

La pointe du stylo est assez agile pour suivre les notes harmonieuses se jouant dans sa tête. Une nouvelle fois, la magie opère sous son regard azur. Sur le papier, des fragments mélomanes se dessinent.

Il y a bien sûr des ratures, mais il ne s'énerve pas. Pourquoi le ferait-il ? Il sait qu'il parviendra à la mélodie souhaitée, peu importe le temps que ça lui prendra.

Non, son seul souci est d'obtenir l'approbation de son créateur.

C'est le premier à pouvoir accéder à ses propositions musicales, celui qui décide de garder ou non la composition. Sans une validation de sa part, les accords vibrants seront tus à jamais.

Il faudra alors trouver une mélodie qui puisse être acceptée. Les musiques qu'il compose sont sa seule chance d'émouvoir le seul être dont il se soucie plus que son créateur : le prince des étoiles.

Un doux sourire effleure ses lèvres.

Il a maintes fois rêvé de le bouleverser, le temps d'une chanson. Peut-être que le prince des étoiles resterait un instant sur cette planète. Et alors il serait enfin sensible aux partitions chantées, celles qui capturent l'essence même des maux de la belle rose.

Son regard balaie distraitement le bureau. Une fleur fanée repose contre l'une des feuilles.

Cadeau du printemps, gros.

Il avait accepté le don avec un sourire, touché par cette attention. La fleur n'avait rien de particulier. Il s'agissait d'une pâquerette, tout ce qu'il y avait de plus commun. Ses pétales grisâtres avaient commencé à faner, et certains s'étaient même détachés.

Pourtant, le précieux trésor gisait sur les partitions, remplissant le chanteur d'une douce chaleur chaque fois qu'il le voyait.

Depuis, ses tourments émotifs n'en avaient été que renforcés.

Il se perdait volontiers dans les souvenirs des brefs moments partagés à sa compagnie. Jamais il n'était parvenu à percer le mystère de son imaginaire bien à lui. Et pourtant, sa présence l'apaisait presque instantanément.

Ils étaient les entités les plus susceptibles s'entendre, dans leur foyer. Mais chaque fois, leurs voix refusaient d'exprimer le fond de leur pensée, si bien qu'ils se connaissaient à peine. Ils ne s'en plaignaient pas : le calme les enveloppant avec douceur était trop agréable.

Un soupir s'échappe de sa bouche. Nul trémolo ne saurait retranscrire la déflagration qui s'empare de sa poitrine.

Lourde peine que de s'éprendre du seul être insensible aux douces flèches d'Éros. Sa nature sereine l'éloigne des passions, même les plus agréables. Le chanteur serait prêt à donner cher pour qu'enfin le voile s'efface du cœur qu'il convoite.

Avec amertume, il constate qu'il aurait été plus aidé de faire succomber l'Ombre solitaire, elle qui ne connaît que la luxure. Mais le cœur se plaît à défier sa raison. Alors l'impact déchire son cœur avec délice – plaie sentimentale.

La réalité le rappelle.

Il écarquille les yeux, à mi-chemin entre la surprise et l'embarras. Ses doigts rêveurs ont tracé une initiale sur sa partition. L'encre a imprégné une partie de la page, suffisamment visible pour révéler son idylle secrète.

H

Dans un juron, il cache la belle lettre sous des gribouillis angoissés. Il est trop tard pour réécrire la page. Il doit tenter de trouver le repos, malgré les éclairs passionnels qui le tourmentent. Avec dépit, il jette un dernier regard à la feuille tâchée.

Tant pis, se dit-il. Mathieu a vu pire que ça.

Il est l'heure pour le chanteur de s'assoupir, ses rêves troublés par son cœur capricieux.