Jour 7 - Vendredi après-midi - Partie 1

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Sabrina était seule, encore, en ce début d'après-midi. Elle avait espéré déjeuner avec Jérémy afin de lui poser des questions au sujet du bracelet, mais son compagnon lui avait envoyé un message pour s'excuser : déjeuner d'affaires, il ne pouvait pas y échapper.

"Bisous", concluait le message.

Même pas un petit "je t'aime". Décevant, comme cela arrivait de plus en plus souvent avec lui. Était-il si pressé pour ne pas avoir le temps d'écrire ces quelques mots ? Ou alors en attendait-elle trop de sa part ?

Elle relut le sms, dépitée.

Sab', excuse-moi mais finalement je ne pourrai pas rentrer ce midi. Déjeuner d'affaires. Je ne peux pas y échapper. A tout à l'heure. Bisous.

Elle plissa les yeux et reposa son téléphone. Quand même, après plusieurs années de relation, et surtout dans le tumulte qu'ils traversaient tous les deux en ce moment, cela posait question. Jérémy devait bien se douter de son état d'anxiété, alors pourquoi n'avait-il pas cherché à la rassurer avec cette formule ?

Je me pose trop de questions... allez j'arrête, j'ai encore du travail...

Elle avait donc mangé rapidement un croque-monsieur avec de la salade, rien de palpitant, en regardant d'un œil distrait quelques vidéos sur Youtube.

Seule.

La joie qui l'avait envahie lorsque son matériel s'était remis en route n'était déjà plus qu'un souvenir. Concentrée toute la matinée à parfaire son sketch et à le filmer, il ne lui restait plus qu'à peaufiner le montage et envoyer le tout à Jean-Michel Dumontet avec l'espoir que cette pastille lui convienne.

Cela lui laissait donc tout le temps de penser au bracelet retrouvé entre les magazines et à ce qui avait pu l'amener ici.

Tandis que l'ordinateur ouvrait le logiciel de montage, son regard s'attarda sur la fine tresse colorée. Le menton dans une main, elle voyait cet objet avec un mélange de colère et de résignation, à l'image, finalement, de toute sa semaine.

La conclusion s'imposa en elle comme une évidence :

Jérémy ne changerait jamais. Son travail aurait toujours la primeur de son intérêt, et en tant que bel homme séduisant, une seule femme ne lui suffisait pas.

Elle l'avait pourtant mis en garde une semaine auparavant, dans la loge de son spectacle. Elle l'avait cru sincère, sur le coup. Oui, elle pensait qu'il pouvait se racheter, passer la semaine en sa compagnie et tout arranger entre eux.

Elle l'espérait de tout son être.

Mais là, au moment de faire le montage de son sketch, et alors qu'elle se voyait seule face caméra, elle prit conscience de sa réelle solitude.

Sur scène : seule. En coulisses : seule. Le midi pour manger : seule.

Et pendant ce temps, peut-être justement pendant qu'elle était seule en scène, il ramenait des filles dans leur petit appartement pour faire quelque chose de rythmé au point de détacher un bracelet d'un poignet.

Dans quel genre de situation était-elle, au juste ?

Délaissant son ordinateur, elle s'obligea à faire une pause et alla ouvrir la fenêtre pour prendre l'air.

Ce n'est pas le moment de craquer si près du but, de toute façon ce soir tout sera terminé. D'une manière ou d'une autre...

Savoir que cela allait se finir lui brisait le cœur autant que la soulageait. Une sorte de fin s'annonçait, une échéance. Mieux : une délivrance.

Jérémy avait échoué à la convaincre de ses sentiments pour elle.

Ses absences, ses maladresses, ses cachotteries, son désintérêt évident dans les moments où elle avait besoin de lui... ne laissaient plus de place au doute.

C'est la meilleure chose à faire, même si cela fait mal... Je dois prendre ma vie en main et assumer mes choix. J'ai toutes les cartes en main, à moi de jouer...

Dehors, le soleil fut un instant masqué par un nuage, projetant alors une ombre sur les bâtiments gris alentours. Sabrina sourit, ironique devant ce qui ressemblait à l'illustration de son moral.

Lorsqu'elle se sentit mieux, au bout de quelques minutes, elle reparti s'asseoir à son bureau pour se remettre au travail.

Elle avait déjà pu monter deux minutes de sketch. Et pourtant, parfois, elle avait encore envie d'effectuer des modifications.

Mais je ne le dois pas sinon je n'arrêterai jamais...

Elle se regardait bouger à l'écran et s'efforçait d'avoir un regard objectif sur son travail, une chose déjà délicate en temps normal, mais qui l'était encore plus lorsqu'on n'avait pas le moral. Son esprit était bien trop occupé à toutes ses pensées négatives pour se trouver jolie ou même drôle.

" — ... et je ne pensais pas que ça pouvait arriver un jour. MAIS SI ! On parle bien de la petite esthéticienne ? bonjour le glamour, la fille. En plus ça piquait terriblement et c'est donc mon fessier qui m'a relevée comme si on m'avait fouetté avec un fil barbelé... "

Bref, elle courait à la catastrophe, selon son impression du moment.

Quelle idée de s'inspirer de sa vie quotidienne, et encore plus de sa semaine catastrophique, pour essayer de faire rire des inconnus alors qu'elle avait seulement envie de pleurer de dépit après de telles expériences ?

Peut-être que Jean-Michel Dumontet va rire, oui, mais parce qu'il me trouvera pathétique...

A nouveau, l'envie de tout arrêter. Mais non.

Soit forte, pensa-t-elle en écrasant une larme au bord de ses yeux.

Quelques coupes d'images, un effet de zoom, une augmentation du son... seconde après seconde, elle avançait. Péniblement.

Elle aurait tant voulu parler à Jérémy !

Elle en éprouvait un besoin viscéral, son cerveau ne pensait plus qu'à ça. Cette envie formait une boule dans sa gorge et ne demandait qu'à sortir, véritable lave en fusion trop longtemps contenue dans un volcan éteint.

Déjà, les paroles de Raphaël ne comptaient plus, seules celles dictées par son anxiété résonnaient à ses oreilles.

Comment j'ai pu être aussi bête de croire que les choses allaient changer...

Elle n'avait même pas répondu au sms de Jérémy l'informant qu'il ne rentrerait pas manger. Comment l'aurait-elle pu ? Aucune de ses réponses n'aurait été agréable, et elle ne voulait pas de conflit à distance. Même si elle mourait d'envie de lui dire qu'elle avait fait son choix et qu'ils allaient arrêter là. Elle le voulait face à elle, elle avait besoin de voir son visage et ses réactions lorsqu'elle lui exposerait les faits et sa terrible conclusion.

Mais chaque chose en son temps... le temps passe inexorablement et viendra l'heure des comptes, bientôt. En attendant...

Comme une machine, à demi hors d'elle-même, Sabrina prit son courage à deux mains pour avancer sur le montage de son sketch. Les rushs demandaient du temps et de l'investissement pour être compulsés et elle devait vraiment se concentrer.

Cela ne signifiait pas pour autant oublier l'objet qui la narguait de toutes ses couleurs au bord du bureau.

C'est fou ce qu'une si petite chose peut avoir comme impact sur une vie...

Non, elle n'était pas pressée d'être ce soir car elle savait que le moment ne serait pas agréable, mais il était nécessaire. Elle en était persuadée, désormais. A la manière d'une dent malade qu'il fallait arracher pour se sentir mieux, ou d'un couteau planté dans le cœur. Cela irait beaucoup mieux après. Et puis qu'étaient quelques secondes, quelques minutes, dans une vie ?

Son destin se ferait en solo.

Peut-être que son succès aussi.

Une semaine pour me prouver que tu m'aimes [TERMINÉ] #WATTYS2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant