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Plus je m'enfonçais dans cette histoire, plus je perdais pied. Comme une douce et lente noyade, se terminant sur quelques secondes d'euphorie quand l'oxygène vient à nous manquer, avant de sombrer pour toujours dans les ténèbres... J'aurais mieux fait de remonter à la surface quand il en était encore temps. Seulement, plus j'en avais et plus j'en voulais. Son corps appelait le mien, ma langue voulait sans arrêt goûter sa bouche, mes mains ne pouvaient résister de toucher chaque parcelle de sa peau. Comme une accro à "l'Hero-ïne", chaque dose qu'il me donnait n'était jamais suffisante. « Tu en redemanderas encore, et encore... et encore... » m'avait-il murmuré un jour, me promettant de me faire découvrir mille et une sensations en sa compagnie. Promesse qu'il a tenu encore, et encore... et encore... Et j'ignore si j'arriverais à m'en sevrer, un jour...

*

Les cent trente kilomètres séparant Londres de Sandgate, mon point de chute, ont rapidement défilé sous les roues de ma Mini. Tantôt perdue dans mes pensées, tantôt occupée à me rappeler de certains souvenirs que cette route abrite, sans oublier les retrouvailles avec ce paysage si familier, je n'ai pas vu le temps passer. En moins d'une heure et demie, j'étais arrivée à destination.

Sandgate est un petit village balnéaire de la côte du Kent, situé à l'extrême sud-est de l'Angleterre, à proximité de Folkestone, autre point côtier et portuaire plus connu et plus important, bordé par la Manche. Riche d'un peu plus de cinq mille habitants, c'est un endroit très prisé par les touristes, voyant le nombre de résidents doubler pendant la saison estivale. Le bord de mer est envahi d'hôtels, de restaurants, de bars et de commerces divers proposant des babioles souvenirs toutes moins originales les unes que les autres... et je m'y connais en conneries d'attrape-touristes !

Une colline verdoyante, abondamment fournie en arbres, culmine au-dessus des habitations, abritant les résidences luxueuses de propriétaires fortunés... et généralement étrangers. D'immenses forêts entourent la commune, ravissant les amateurs de promenades, tandis que la mer et sa longue plage de galets conviennent aux lézards voulant se dorer la pilule... quand la météo se montre clémente, bien évidemment. C'est l'Angleterre, après tout !

Avant de partir, Angie s'est bien évidemment proposer de m'accompagner. Elle aussi a passé la plus grande partie de sa vie à Sandgate et n'y a pas remis les pieds depuis notre départ commun pour la capitale. Cette ville doit certainement lui manquer, mais elle y a vécu des heures sombres et je me serais inquiétée de la voir confrontée à son passé. J'ai conscience que le temps a guéri la plupart de ses blessures, mais peu de personne se serait relevé après le traumatisme qu'elle a subi. Et puis, revoir sa mère après les derniers mots qu'elles ont échangé n'aurait pas été forcément bénéfique pour ma meilleure amie. 

Le soleil brille haut dans le ciel quand je gare la voiture devant la maison de ma grand-mère, Rosemary. Légèrement ex-centrée de la ville, mais à deux pas des commerces de proximité, c'est une charmante petite propriété avec du terrain. Un jardin se trouve à l'arrière de la maison et les clôtures bordant les limites de la cour sont toutes fleuries avec des buissons de roses. Je ne lui ai pas annoncée ma venue, mais je sais qu'elle n'y verra aucun inconvénient. La seule chose que je redoute est la présence de certains membres de ma famille, que je n'ai pas foncièrement envie de revoir.

Ah, les histoires de familles... toujours compliquées, hein ?

J'extirpe ma petite valise de la banquette arrière de ma voiture — j'ai prévu des vêtements pour une semaine environ — lorsque j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Cela fait plusieurs mois que je n'ai pas rendu visite à cette petite bonne femme que je considère comme une seconde mère. Je remarque que, dans ce laps de temps, elle a changé d'allure. D'habitude si coquette, elle a délaissé les teintures brunes et les mises en plis pour des cheveux blancs lisses, laissant apercevoir quelques parties de son crâne clairsemé. Elle est aussi un peu plus courbée que dans mes souvenirs. Elle descend péniblement les deux marches de l'entrée, en se tenant fermement à la rampe en fer forgé noir sur le côté. Affublée de son inusable tablier bleu foncé avec des petites fleurs roses brodées, elle arrive lentement à ma hauteur avec un grand sourire.

Lost In The Fire - Pt.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant