Chapitre 24.2

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J'essayai de faire fonctionner mon ouïe le plus possible, faisant le plus abstraction des bruits parasites qui nous entouraient. Je notais que mes chaussures ne foulaient plus du gravier, mais quelque chose de plus moelleux. Un parterre de feuilles mortes, peut-être ? Ou d'épines ? Il faudrait que je m'arrête pour me pencher et le toucher avec mes doigts pour m'en rendre compte, mais j'avais trop peur de perdre nos geôlières. Le vent soufflait dans mon dos, rabattant mes cheveux sur mon visage et je les remis en place d'un geste impatient.

Elia, tu es où ? m'interpella Hannah.

Tu me poses vraiment la question ? m'exaspérai-je.

Tu peux au moins nous attendre, s'il te plaît ? insista-t-elle.

Je lâchai un soupir et m'arrêtai de marcher. Je ne voulais certainement pas m'égarer dans cette forêt, mais ma conscience m'interdisait de laisser les deux filles toute seules, sans aucune aide pour se repérer. J'étais un peu plus à l'aise qu'elle, mais ce n'était pas une raison pour les abandonner. À leur place, je serais tout aussi perdue. Mon seul avantage était que j'avais déjà passé plusieurs semaines en étant aveugle et surtout : j'avais choisi volontairement de reperdre ma vue, je ne le subissais pas cette fois-ci. J'étais assez persuadée que mentalement, c'était quelque chose qui me donnait un sacré privilège sur les autres. J'étais déjà passée par la phase « pourquoi », « pourquoi moi », « est-ce que c'est réversible »... Je savais tout cela, il me fallait juste retrouver ma sœur.

Le temps que les filles me rejoignent, je réalisai que je n'avais aucune idée d'où étaient parties les sorcières.

— Putain, c'est pas possible ! jurai-je à voix haute.

C'est du français ? m'interrogea Téa.

Euh... oui. Je suis française.

— Mais tu vis en France ?

Oui, pourquoi ? m'étonnai-je.

Mais quand c'est arrivé, tu étais en France ? insista-t-elle.

Mais, oui ! m'impatientai-je.

— Ben c'est étrange, en fait, releva Hannah. Parce qu'on a réalisé hier, avec Téa, qu'on a toutes été enlevées en Suède. Donc comment ça se fait que toi ce soit en France ? D'ailleurs, on n'a aucun souvenir de toi durant les premiers jours.

Je déglutis difficilement. Je n'avais pas pensé à cela. Puis, je réentendis Lowri qui avait prétexté que j'avais tenté de m'enfuir. On m'avait ensuite jetée dans un wagon, dans lequel se trouvaient Hannah et Téa. Mais peut-être y avait-il des jeunes femmes d'autres nationalités dans les autres wagons ? Et Camille aurait été dans l'un d'entre eux ?

J'ai tenté de m'échapper, mais une des leurs m'a retrouvée. On m'a balancé dans votre compartiment, mais je pense que j'aurais dû être dans un autre, à la base. J'ai été enlevée en France, mentis-je, il y a sûrement d'autres Françaises à qui il est arrivé le même sort. Et peut-être même bien encore ailleurs. Qu'essaies-tu de me faire comprendre, en fait, Hannah ?

— Rien... je n'avais pas pensé au fait qu'on n'était pas les seules, avoua-t-elle.

Voilà. Donc si tu pouvais éviter de porter de fausses accusations. Il m'est avis que ce serait préférable de se soutenir que de se tirer dans les jambes.

— Elle a raison, approuva Téa.

En tout cas, je suis ravie d'apprendre que vous avez réussi à passer du temps ensemble sans qu'Hannah n'ait eu envie de t'étriper.

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