Chapitre 1

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L'hiver était encore présent, même s'il commençait à laisser gentiment sa place au printemps. Aurel et moi marchions ensemble dans la rue, main dans la main, nous dirigeant vers le restaurant dans lequel nous avions rendez-vous avec nos amis. Le vent souffla dans mes cheveux et s'inséra dans mon cou, me soutirant un frisson. Machinalement, je remontai le col de mon manteau, pestant contre le froid. Je rêvais de pays chauds et exotiques, loin de toute cette déprime. Mais ce n'était pas avec mon maigre salaire que j'allais pouvoir y faire quelque chose. À moins de gagner au loto. Et encore, pour cela, il aurait fallu que j'y joue. Bref, les vacances n'étaient pas pour tout de suite. Quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber du ciel, dont les lourds nuages gris nous menaçaient depuis une bonne partie de l'après-midi.

— On aurait dû prendre un parapluie, nota Aurel.

— Je déteste ça. Tu as bien remarqué qu'il n'y en avait pas chez moi.

Tout en avançant d'un pas rapide, je manquai de me retrouver éborgnée par une passante qui ne faisait pas attention à quelle hauteur elle tenait son objet de malheur. Je me baissai hâtivement et la foudroyai du regard, espérant ainsi la mettre mal à l'aise.

— Tu vois ? C'est pour ça que je n'aime pas ça. Un peu plus et je finissais aveugle, avec ses conneries.

— Tu n'as pas l'impression d'exagérer un tout petit peu ? m'interrogea Aurel.

— Absolument pas !

Il tourna la tête et aperçut mon sourire en coin, signe de ma mauvaise foi. J'avais une propension à dramatiser facilement, je le savais, mais c'était aussi ce qui faisait mon charme, non ?

Aurel sortit son téléphone de sa poche et le rangea aussitôt.

— On est en retard.

— On a cinq minutes de retard, détends-toi, tout va bien. Comme disait ma grand-mère, on est encore dans le quart d'heure de politesse !

Il secoua la tête en riant. Aurel était le type le plus à cheval sur l'heure que je connaissais. Faire attendre les autres l'angoissait plus que tout.

Je m'arrêtai de marcher, tirant sur son bras pour le rapprocher de moi.

— Qu'est-ce que tu fais ? se méfia-t-il.

— Je te trouve bien tendu, lui expliquai-je. Il faut remédier à ça.

Je tirai sur son manteau afin qu'il soit encore plus près et me penchai tout prêt de son visage, mon nez reposant contre le sien.

— Et à quoi tu penses ? m'interrogea-t-il en levant ses yeux marron au ciel.

Je déroulai mes bras autour de lui et posai ma bouche sur la sienne, l'embrassant ainsi au milieu des passants. Ses lèvres s'étirèrent vers le haut et il m'enlaça à son tour, approfondissant notre baiser. Quand nous nous écartâmes, il secoua la tête en me regardant.

— T'exagères, quand même, on est déjà bien assez en retard comme ça, le charriai-je en reprenant la direction du restaurant.

— Mais quel culot ! s'exclama-t-il en me rattrapant.

Quand il fut à mes côtés, je glissai mon bras sous le sien et nous finîmes ainsi le trajet. La pluie tombait de plus en plus dru et nous pressâmes le pas pour ne pas arriver trempés à notre rendez-vous.

Toute la ville s'agitait sous l'intempérie, les piétons courant presque pour atteindre leurs destinations, les conducteurs adaptant une comportement plus nerveux. Cela faisait une année, maintenant, que j'étais revenue vivre dans cette ville, après avoir fait ma dernière année d'études à Édimbourg, afin de valider mon master en tant que traductrice. J'y avais grandi et je devais reconnaître que j'affectionnais le sentiment de réconfort qu'elle m'apportait. Ce n'était pas spécialement une grosse ville, elle était constamment en travaux, notre réseau de bus était toujours en retard et plutôt mal desservi, aucune cohérence dans l'architecture, on avait plus l'impression que les immeubles poussaient aléatoirement, comme des champignons... mais c'était ma ville, celle dans laquelle j'avais passé mon enfance et je l'aimais.

DALLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant