Partie I/1

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1668, Port Royal, Jamaïque

        Des dizaines de semelles martelaient les pavés, brisant ainsi le silence de la nuit. La lueur des lanternes alignées projetait l'ombre des hommes sur la chaussée. Ces derniers étaient une large poignée, s'engouffrant dans le port au rythme de leurs pas pressés. Plusieurs étaient âgés, les autres n'en étaient pas moins ravagés. Le surplus de soleil avait durci leur peau. L'excès de rhum avait jauni leurs yeux. Le manque d'hygiène avait carié leurs dents, noirci leurs ongles, encrassé leurs cheveux. Les plus coriaces étaient balafrés, borgnes ou boiteux.

        Pourtant, en dépit de leur négligence, leur apparence conservait style et cohérence. Ils revêtaient tous une longue chemise, certains l'avaient agrémentée d'un gilet voire d'un veston terni par l'usure. Chaque pied soulevait une grosse botte ou une bottine. Certains fronts étaient couverts de bandeaux, plusieurs crânes supportaient le poids d'un imposant chapeau. Les tenues différaient d'une personnalité à l'autre. Nonobstant, elles étaient toutes harnachées d'un accessoire sacré, à savoir une épaisse ceinture où se nichaient sabres, couteaux et pistolets.

        Constantin se trouvait parmi les hommes, trottinant presque pour les suivre. Avec une pointe de nervosité, il empoignait la lanière de sa sacoche en cuir, portée en bandoulière.

        Le jeune homme se distinguait très clairement du reste du groupe. Comme son apparence semblait l'attester, Constantin avait joui des bonnes grâces de la vie. Sa tenue était soignée, élégante et détaillée. Il portait un costume trois pièces, brun, cousu au fil d'or. Une boussole en médaillon pendait autour de son cou. Il avait des cheveux châtains lisses et soyeux, mi-longs, noués derrière sa nuque. Sa peau était blanche, imberbe et sans défaut. Il avait de beaux grands yeux noirs, vifs et intelligents qui s'accordaient à des traits séduisants, à la fois matures et juvéniles. Son visage était empreint de jeunesse, une jeunesse qui, sans conteste, avait été baignée dans l'insouciance, la santé et l'opulence.

        Des soldats en uniforme rouge et blanc firent une apparition furtive, plus loin dans le port. Constantin remarqua leur présence. À l'affût, il se retourna sans ralentir pour scruter les lieux. D'autres venaient de disparaître derrière de lourdes caisses empilées.

        Les militaires s'insinuaient par vagues dans les ruelles, s'imposant en surnombre. Ils sortirent soudain de l'ombre puis convergèrent tous vers l'allée centrale en se regroupant.

        Le jeune homme s'engagea sur le ponton avec les autres. Les talons des bottes firent résonner le bois. Constantin intensifia le rythme tout en gardant à l'œil ses poursuivants qui marchaient en cadence dans la même direction. Une centaine de mètres séparait les deux groupes. L'écart semblait s'être stabilisé mais le pas des soldats restait actif et discipliné.

        Constantin ralentit soudain à la vue d'un gigantesque navire amarré sur le quai. Des matelots s'activaient à bord, les gabiers manœuvraient les voiles. Le jeune homme détailla la frégate aux trois mâts, impressionné par son envergure. Il en distingua le nom, inscrit en lettres d'or. L'Écumeur des Mers.

        Un homme bouscula aussitôt Constantin, sans se retourner. Il traversa ensuite rapidement la passerelle, rejoignant le reste de l'équipage. D'autres firent de même.

        -On est prêts à appareiller ! s'exclama un gabier du nom d'Alasté, accroché au mât de misaine.

        Les soldats gagnaient du terrain. Constantin ne tarda pas davantage. Il posa une main sur la balustrade, prêt à traverser la passerelle quand soudain, un des hommes y posa son pied avant lui. Freiné dans son élan, il leva le visage vers celui qui venait de faire preuve d'impolitesse.

Aquatilia ~ Le secret de la perditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant