Partie II/20

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        Le décor de la cavité s'étalait derrière eux. Restés près du point d'eau, Thelma et Constantin se faisaient face. Elle était assise sur sa queue de poisson repliée, tandis qu'il était assis sur ses jambes fléchies. La sirène tendit le bras pour rapprocher sa main de la figure du jeune homme. Ce dernier la regarda faire, scrutant le moindre de ses gestes. Thelma rit doucement en le voyant si attentif, jusqu'à ce qu'elle mît fin à tout visuel, en effleurant ses paupières. Constantin ferma aussitôt les yeux, amusé mais consentant. Elle saisit ensuite les mains de son cobaye qu'elle plaça à leur juste place, revers contre cuisses. Le petit sourire déjà présent aux coins des lèvres de Constantin s'était renforcé quand il la sentit le manipuler. Thelma poursuivit en lui ouvrant les paumes, écartant délicatement ses doigts. L'instant d'après, elle y posa les siennes.

        La sirène ferma les yeux. À mesure que les secondes s'écoulaient, ses traits se relâchaient lentement, proportionnellement à la montée de sa concentration. Pendant ce temps, des gouttes d'eau se détachaient des stalactites, frappant le sol et résonnant dans les profondeurs de la grotte. La surface du bassin était calme, à peine troublée par le passage des quelques poissons et le remous des courants. Thelma et Constantin avaient cessé de bouger, comme s'ils s'étaient cristallisés quand soudain, leurs deux corps se redressèrent d'un coup.

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flash lumineux -

        Le jeune homme traversa la ruelle en pavés d'un pas rapide. Tantôt dans la lumière, tantôt dans l'ombre, son visage était sous le feu des lanternes qui dévoilaient par intermittence ses traits durcis de colère.

        Tout à coup, Constantin se mit à ralentir en tendant l'oreille. Une mélodie folklorique ainsi que des rires, étouffés par la distance, laissaient présager qu'il n'était pas le seul à Port Royal à veiller cette nuit-là. Le jeune homme ne patienta pas davantage. Il accéléra, se dirigeant droit vers l'effervescence.

        Il s'arrêta face à une porte aux vitres opaques qui le séparait d'un intérieur très lumineux. La soirée semblait battre son plein, comme en témoignaient les silhouettes floues en mouvement, mêlées à un brouhaha de musique et de voix aux intonations gaies et élevées.

        Constantin posa une main sur la poignée. En ouvrant, il fut frappé par une hausse soudaine du niveau sonore, ainsi qu'une vague de chaleur qui contrastait avec la douceur de l'extérieur. Il fit quelques pas et un concentré de fumée de tabac s'abattit sur ses yeux noirs qui se mirent à brûler.

        Le jeune homme connaissait bien cette auberge, pour l'avoir fréquentée des dizaines de fois. Il n'avait néanmoins jamais eu l'occasion de s'y rendre à une heure si tardive. L'influence de la nuit offrait une ambiance nettement plus festive et désinhibée.

        Empoignant la lanière de sa sacoche, Constantin pénétra au sein de la salle principale où s'entassaient un nombre très audacieux de tables pour la taille des lieux. Les clients étaient tous des hommes d'âge mûr ou avancé. Des rires francs fusaient pendant les parties de cartes, rythmées de gorgées d'alcool et de bouffées de tabac. Des femmes en robe rouge passaient entre les rangs, à la recherche d'une proie à combler de bonheur. Certains hommes avaient quant à eux opté pour une soirée en solitaire, sirotant un verre au comptoir du bar. Au fond de l'auberge, quatre musiciens enflammaient l'estrade. Le sourire greffé au visage sous un front dégoulinant de sueur, ils semblaient s'amuser comme des fous, tirant sur la corde, sans pitié pour leurs instruments.

        En levant le visage, Constantin remarqua l'imposant lustre d'où provenait la lumière. Surplombant la salle, il était parsemé d'une myriade de bougies dont certaines s'apprêtaient à rendre l'âme. Le jeune homme cilla ensuite vers la mezzanine où cinq superbes jeunes femmes le dévoraient des yeux, accoudées à la balustrade. Mais comme il n'était pas d'une humeur vorace, il détourna le regard avec indifférence et le posa ensuite sur un individu au physique pas aussi sulfureux, mais qui aurait au moins le mérite de lui servir à boire, l'aubergiste.

Aquatilia ~ Le secret de la perditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant