Aquatilia ~ Le secret de la perdition

Partie II/25

        La nuit était tombée sur l'île et ses environs, tel un épais manteau de jais. Pourtant, quelque part sur le rivage, une effervescence aussi bruyante que lumineuse venait troubler la quiétude vespérale.

        La fête battait son plein sur le pont du navire. Le rhum était consommé à foison, pour le plus grand bonheur de Gai-Luron. Un accordéoniste jouait de son instrument. Des rires francs s'entremêlaient à de lourds ronflements.

        Monsieur Pinning somnolait, adossé au bastingage. Il ferma ses paupières exténuées puis les rouvrit l'instant d'après, visiblement peu disposé à céder si facilement à l'ivresse. Chatham, quant à lui, s'était avéré moins pugnace. Il s'était endormi à même le sol, dans une position qui semblait des plus inconfortables tout en gardant en otage une bouteille à moitié vide qui tenait miraculeusement debout, au creux de son bras. La Plume n'avait pas non plus fait long feu, comme semblait l'attester sa figure enfouie dans son manuscrit.

        -Saké !

        V ingurgita d'une traite le shoot d'alcool japonais que l'asiatique venait de lui servir.

        -Mais c'est bon ! s'exclama le garçon avec surprise. Bien meilleur que le rhum !

        Le jeune homme bridé avait du vent dans les voiles. Ses yeux s'étaient tellement plissés sous l'effet de l'euphorie qu'ils avaient laissé place à deux fentes. Il se resservit aussitôt, ainsi que son camarade. Ils levèrent ensemble leur petit verre et burent cul sec.

        -Saké !

        V exulta en sentant le liquide chaud s'insinuer dans son organisme.

        -Saké ! répéta-t-il comme s'il hurlait un cri de guerre.

        Tous deux se mirent à rire à s'en décrocher la mâchoire. L'asiatique paraissait survolté. Il s'empressa de remplir une nouvelle fois leur deux récipients comme s'il ne lui restait plus qu'une minute à vivre.

        -Mais où peut-il bien cacher ses bouteilles ? marmonna V d'un air sournois.

        Près de là, sur le gaillard d'avant, Otto et le Borgne écoutaient Gai-Luron qui monopolisait l'attention.

        -Je les ai enterrées moi-même ! Sur une île, au large des Caraïbes. Des cargaisons de rhum ! Un jour, j'y retournerai. C'est là-bas que je finirai mes vieux jours.

        Près du mât principal, Monsieur White était de la partie, assez bien remis de son accident. Un cache-œil était venu remplacer le globe oculaire en verre qui était malheureusement passé à la trappe. Le pirate ricana en posant le goulot d'une bouteille de rhum sur la bouche de l'accordéoniste, le forçant à boire pendant qu'il jouait.

        Les inséparables binômes regardaient Gai-Luron avec scepticisme.

        -Du rhum ? répéta Otto.

        Le Maître Coq rêvassa un instant, dirigeant ses yeux enivrés d'alcool vers le ciel étoilé. Il souriait puis s'interrompit soudainement en réalisant que quelque chose manquait à son bien-être. Il but alors une gorgée, puis s'exalta davantage.

        -Seulement du rhum ?

        Monsieur White insista en penchant la bouteille afin que l'accordéoniste bût davantage. Quelques fausses notes s'ensuivirent.

        -Moi, l'alcool me rend triste, affirma le Borgne. Je me foutrais vite en l'air sur ton île.

        La musique dérailla brutalement. Gai-Luron se tourna vers le mât principal, la mine contrariée.