Partie II/9

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        La corde épaisse s'effilochait sous les passages répétés de la lame. Le Borgne, blotti au fin fond de son filet, observait nerveusement l'asiatique opérer, en vue de le libérer. Ce dernier était agilement posé au sommet, gardant l'équilibre presque par miracle. Le bruit d'un élastique qui claque donna soudain le signal. Le Borgne s'agrippa aux mailles dans un geste désespéré, puis brailla comme un bébé en se sentant tomber dans le vide. Il percuta lourdement le sol en refrénant un grognement. L'asiatique quant à lui, avait parfaitement atterri grâce à un saut souple et maîtrisé.

        D'autres hurlements s'élevèrent ensuite dans la forêt, précédant la chute de plusieurs pièges. À terre, Alasté se releva en écartant l'immense filet qui lui couvrait la tête, tandis qu'un peu plus loin, V et Otto se frottaient le dos en grimaçant de douleur. L'humeur était à la morosité. Les pirates se remettaient laborieusement de ce guet-apens et surtout, de leur belle humiliation.

*

        Constantin était de retour dans le sous-bois. Il en avait terminé avec les pirates, pour l'instant du moins, sans pour autant se démunir de son arme, ni de tout ce qui lui donnait l'apparence d'un rebelle. Son attitude était d'ailleurs peu commune. Les yeux clos, la tête penchée en avant, les deux pieds largement espacés, il tâchait visiblement de se concentrer, à l'image d'un ninja prêt à exécuter un coup de maître.

        Soudain, sans crier gare, Constantin jeta sa lance qui vint s'écraser contre un tronc face à lui. Constantin hurla dans la foulée, le poing tendu, en exprimant vigoureusement sa victoire, à la fois sur l'arbre et sur les pirates.

*

        Les deux guerrières semblaient imperturbables. Aussi droites que solennelles, il y avait fort à parier qu'elles n'avaient pas prononcé un seul mot depuis le début de leur garde.

        Argos s'approcha de l'entrée d'Aquatilia, seul. Elles se méfièrent aussitôt, prêtes à barricader l'entrée en croisant leurs tridents. Les Xenoriennes avaient reçu des ordres et la présence de leur dirigeant n'y changeait rien.

        -Philea, Ursine, c'est la fin de votre ronde. Trouvez deux autres guerriers qui assureront la relève. Et suite à cela, faites-moi le plaisir de prendre un peu de bon temps, vous avez largement rempli vos obligations.

        Les sirènes en armure s'échangèrent un regard suspicieux.

        -Ce n'est pas ce qu'Helios nous a dit, affirma Philea, qui semblait la plus stoïque des deux.

        Argos, qui avait anticipé la réponse, rebondit dans l'instant.

        -Les jumeaux ont été assignés dernièrement d'une importante mission. Bien qu'ils n'aient pas encore jugé bon de vous en parler, sachez qu'ils devront s'acquitter de certaines tâches mineures. Ils sont partis dès l'aube, comme vous le savez. J'assure le commandement en leur absence. Je reste d'ailleurs leur supérieur hiérarchique, tout comme le vôtre.

        Argos disait vrai. Il était parfaitement en mesure de les commander et elles le savaient. Seulement, jamais il ne l'avait encore fait, ce qui pouvait en partie expliquer la méfiance première des guerrières. D'ordinaire, il donnait ses directives à Helios et Vacchos, qui étaient chargés de les relayer.

        Philea et Ursine hochèrent la tête pour signifier à Argos qu'elles agiraient désormais selon ses ordres. Mais par respect pour leur devoir, elles semblaient hésiter, contrariées à l'idée de laisser ce passage sans surveillance.

        -Je reste. Je monte la garde en votre absence, ajouta vite Argos en empruntant le trident d'Ursine.

        Les Xenoriennes, destituées de leur fonction et mises devant le fait accompli, remercièrent leur dirigeant d'un signe de respect puis fusèrent vers le temple. Elles n'avaient plus qu'une hâte, trouver deux remplaçants pour soulager leur conscience professionnelle. Thelma ne disposerait donc que de peu de temps pour passer les portes d'Aquatilia.

Aquatilia ~ Le secret de la perditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant