Les deux armes se percutèrent. Les chocs se multipliaient, sous les yeux d'une foule absorbée. Helios tendit son trident, bloquant net celui de son frère qui claqua à son contact. Vacchos réitéra l'attaque dans la foulée, à gauche puis à droite. La défense d'Helios semblait infaillible. Les jumeaux souriaient, amusés par le combat amical qu'ils échangeaient.
Aquatiliens et Aquatiliennes étaient divertis comme jamais ils ne l'avaient été. Ils formaient un cercle autour des guerriers qui occupaient tout l'espace, tourbillonnant, enchaînant les gestes maîtrisés, les mouvements parfaits. Les tridents d'argent se déplaçaient vite, si vite que certains regards peinaient à suivre. Les jumeaux renvoyaient l'image de dieux grecs d'un mont Olympe sous-marin.
Partout ailleurs, Xenoriens et Xenoriennes s'entraînaient, alternant les exercices, affinant leurs compétences. Le bruit des armes s'entrechoquant avait succédé à l'ambiance sonore du temple, autrefois calme et bienséante.
Vacchos fit une feinte à son frère qui riposta habilement. Ils rirent aussitôt de la situation, contagionnant un groupe de jeunes filles qui gloussèrent timidement à leur tour.
-As-tu déjà vu ton peuple aussi heureux ? prononça Argos.
Les deux dirigeants veillaient à distance. Ils surplombaient le temple de leur emplacement.
Les citoyens d'Aquatilia applaudissaient, félicitant Helios et Vacchos pour leur performance. Ces derniers, un peu essoufflés, affichaient un large sourire.
Ils se rapprochèrent ensuite l'un de l'autre. Face à face, ils tendirent chacun un bras, saisissant avec force la main de l'autre à la manière d'un bras de fer. Ils joignirent leurs fronts dans la foulée en serrant fort leurs poings, yeux dans les yeux, heureux.
Les jeunes Aquatiliennes n'avaient rien manqué à la scène. Elles tapaient dans leurs mains, excitées telles des groupies.
Vacchos conclut en frottant les cheveux de son frère, d'un geste amical, en riant avec décontraction.
-Mon peuple a toujours été heureux, répondit calmement Artemus.
Ce dernier prenait plaisir à observer ses sirènes, l'expression sereine.
-Ah oui, les bienfaits de la méditation, ironisa gentiment Argos.
-Parfaitement. La spiritualité a le pouvoir d'alléger bien des maux. Pourquoi n'en ferais-je pas profiter mon peuple ?
-Pourtant, j'ai le vague souvenir que tu as connu le bonheur autrefois. Un bonheur bien réel. Tu étais même un guerrier, pas trop mauvais je dois l'avouer. Encore récemment, nous n'étions pas si différents toi et moi.
-Il faut croire que le vrai moi qui sommeillait s'est enfin exprimé.
Argos éclata de rire, un rire franc et prolongé.
La foule s'était dispersée. Elle s'étirait entre les étals, comblant les vides de sa présence. Des étoiles plein les yeux, les citoyens choisissaient avec grand soin l'arme qu'ils auraient le privilège d'apprendre à manier.
-Cela dit, enchaîna Argos, tu seras bien forcé d'admettre que ton peuple s'intéresse à une discipline un tantinet différente au moment où nous parlons.
Un sage sourire s'invita sur le visage d'Artemus.
-Je doute que leur passion pour le combat y soit pour quelque chose, répondit-il. Regarde-les, ils sont complètement captivés.
Illysse et Neria se faisaient face, agrippant timidement un trident. Elles hésitaient quant à la posture à adopter, un peu maladroites. Helios donnait des directives à Illysse. La jeune fille écoutait, troublée. Elle renvoyait l'image d'une poupée de porcelaine à l'innocence exquise. Vacchos quant à lui, parlait à Neria qui avait une beauté sombre, telle une goule aux intentions discutables. Les jeunes Aquatiliennes étaient sous le charme. Illysse dévisageait amoureusement Helios en se mordillant la lèvre inférieure, désespérant intérieurement à l'idée que leur relation ne se limitât qu'au maniement de trident.
-Oui, les jumeaux. Ils ont un don, ils les envoûteraient tous.
La réplique sembla doucement divertir Artemus.
-Je suis heureux de votre présence ici, et ce malgré les troubles que cela va occasionner, notamment sur notre équilibre spirituel.
-Puis-je quand même te demander pourquoi tu nous as appelés si vite ? Je veux dire, avant même d'avoir eu connaissance du baiser.
-Des humains nous menacent. N'est-ce pas suffisant pour toi ?
Argos n'était pas dupe. Il sourit, assez amusé.
-Je sais que tu n'aimes pas beaucoup les humains depuis ce que nous avons vécu. Je ne les porte pas non plus dans mon cœur mais je ne fais pas d'amalgames. Artemus, je vais être franc. Si tu comptes utiliser mon armée pour satisfaire une vengeance personnelle, sache que nous ne sommes pas là pour ça. Un humain doit mourir, certes, mais un seul.
-Tu te méprends Argos. Ce ne sont pas mes intentions. J'ai changé depuis ce temps. Mais il est vrai qu'en apprenant la présence de ces humains à la surface, mon premier réflexe a été de te contacter. Et je suis sûr que tu es en mesure d'en comprendre les raisons.
Argos approuva par un mouvement de tête, compréhensif et impliqué.
Artemus balaya le temple d'un regard anormalement triste. Le gigantesque emblème d'Aquatilia n'était plus qu'un lointain souvenir. Son peuple se divertissait, profitant du moment comme si c'était le dernier. Pas un Aquatilien n'était encore venu lui parler. Pour la toute première fois, le dirigeant avait délaissé, à contrecœur, son fauteuil devenu inutile.
-C'est étrange de voir Aquatilia dans ces conditions, elle m'est comme étrangère.
Sa voix trahissait une émotion lourde.
-Je crains que les choses ne redeviennent jamais plus comme elles ont été.
Artemus s'éloigna sur ces dernières paroles. Il regagna ses appartements, sans que personne ne le remarquât, à l'exception d'Argos qui avait suivi son frère d'un regard gorgé d'empathie.
© Tous droits réservés
VOUS LISEZ
Aquatilia ~ Le secret de la perdition
ParanormalXVII° siècle. Constantin rêve d'aventures. Mais quand on est le fils de l'Amiral de Port Royal, il est difficile d'échapper à ses obligations. Une violente dispute finit par éclater entre Constantin et son père. Le jeune homme fuit le nid familial...