Alban aurait bien voulu sauver le monde. C'était vrai, contrairement à ce que d'aucuns prétendaient : il ne s'en foutait pas. Il aurait bien voulu éliminer la pauvreté, effacer les injustices (même donner des pouvoirs magiques à sa folle de voisine, tiens), être le rayon de soleil de sa famille et redonner le sourire à chacun ; sauver le monde, quoi. Mais l'inconvénient, c'est que ça présupposait tout de même que le monde pouvait être sauvé.
Voilà, c'était exactement à cause de ce genre de conclusion qu'Alban détestait réfléchir à la vie. Il soupira, secoua la tête et transplana. Le monde tourna autour de lui, il eut l'impression de passer dans un tuyau de caoutchouc très serré puis soudain tout s'arrêta. Il se trouvait à présent dans en pleine campagne, sur une lande battue par les vents. Un bâtiment qui ressemblait à un petit manoir se trouvait à quelques centaines de mètres de lui, mais à part ça, tout était désert.
Alban resta immobile quelques instants, à observer le bâtiment qui se dessinait au loin. Il avait encore le temps de faire demi-tour. Personne ne saurait jamais qu'il était venu ici. Pourtant, la curiosité l'emporta – la curiosité, et peut-être aussi l'envie de faire enfin quelque chose, plutôt que d'attendre que tout lui tombe dessus.
Il marcha jusqu'au manoir, ce qui lui prit une bonne dizaine de minutes. Lorsqu'il arriva devant la porte, il sonna sans se laisser le temps d'hésiter. Aussitôt, un œil apparut sur la porte et le dévisagea. Alban ne put retenir une exclamation de surprise et bondit en arrière. L'œil l'observa pendant quelques secondes qui parurent durer des heures, puis la paupière cligna et la porte s'ouvrit. Derrière se trouvait un sorcier vêtu d'une robe de fonction argentée. Il eut l'air surpris de voir Alban, et le jeune homme commença à se dire que ce n'était peut-être pas une si bonne idée d'être venu.
« C'est pour une visite ? demanda l'homme. La porte ne vous a pas reconnu.
-C'est la première fois que je viens ici, déclara Alban en cachant sa nervosité.
-Ah, d'accord. Ça doit être pour ça que vous arrivez à cette heure-ci. Normalement, les visites se terminent à dix-neuf heures.
-Je ne viens pas pour une visite, précisa Alban.
-Ah oui ? Pour quoi alors ? »
C'était le fond du problème. Pourquoi diable est-ce qu'Alban était là ? Il venait pour une affaire qui ne le concernait absolument pas, dans laquelle il s'était retrouvé projeté sans l'avoir voulu et dont il aurait pu s'extraire aussi facilement. Alors, qu'est-ce qu'il faisait là ?
« Je viens pour des renseignements. »
L'homme se fit soupçonneux.
« Des renseignements ? Quel type de renseignements ? Je vous préviens, nous n'acceptons pas les journalistes à l'intérieur du centre ...
-Je ne suis pas un journaliste. En fait, fit Alban en prenant une profonde inspiration, une ... personne que je connais a fait une sorte de crise, et ... ça ressemblait à une overdose de Souvenin. »
Voilà, c'était dit. Maintenant, le problème de la grand-mère Emerson était officiel. Alban avait enclenché la procédure de révélation du secret. Maintenant, à un moment ou un autre, tout finirait par se savoir.
L'expression du sorcier avait changé du tout pour le tout. Il regarda Alban d'un air très doux, avec l'air de celui qui comprenait la situation. Le jeune homme croisa les bras. Il n'était pas là pour faire dans le sentiment.
« Venez avec moi », déclara finalement le sorcier.
Alban le suivit, et la porte se referma derrière lui. Il pénétra dans un vaste hall, pourvu de grandes fenêtres qui donnaient sur la lande. Des sorciers et sorcières vêtus de la même robe argentée s'y affairaient, discutant entre eux ou escortant des personnes à l'air hagard, avec d'immenses yeux qui paraissaient ne rien voir. Alban braqua son regard droit devant lui et ne le détourna pas.
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Les Porte-à-faux
FanfictionLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...