« Alors, vous vous planquez ? » lança Lloyd d'un ton moqueur.
Henry ne tourna pas la tête. Il était actuellement assis sur une botte de foin, en train de contempler les jeunes Ethonans qui broutaient au sommet de l'arbre le plus proche.
« N'importe quoi, répondit-il après un temps. J'observe les poulains de l'année dernière. Je réfléchis à la façon dont on va les dresser.
-D'accord, répondit Lloyd avec son sourire à fossettes, en déposant une tasse de café à côté de son patron. Me permettez-vous de vous joindre à vous dans votre observation ? »
Henry se tourna vers son assistant et lui jeta un regard. Le jeune homme était aussi détendu qu'à son habitude, mais son sourire moins éclatant, ses yeux moins brillants. Henry le connaissait suffisamment bien pour ne pas s'y tromper : le jeune homme était préoccupé. Henry hocha la tête sans rien dire et Lloyd vint s'asseoir à côté de lui.
Pendant un long moment, ils restèrent sans rien dire, puis Henry lâcha :
« T'en penses quoi, de la petite ?
-La pouliche blessée d'hier ? Houlà, faut pas me poser la question. Je serai incapable de soigner un cheval même si ma vie en dépendait.
-Je parlais pas de ça ... répondit Henry en roulant des yeux.
-Ah bon ? fit Lloyd avec un sourire en coin, et Henry lui donna une petite tape sur l'arrière de la tête.
-Te moque pas de moi, gamin.
-J'oserais pas, rit Lloyd, avant de reprendre plus sérieusement. C'est drôle que vous me demandiez ça ... »
Mais Henry ne sut jamais pourquoi ce qu'il avait dit était si drôle, parce que Lloyd ne termina jamais sa phrase et que ses yeux se perdirent dans le vague. Henry connaissait bien ce regard, depuis le temps : Lloyd réfléchissait. Et quand Lloyd réfléchissait, le monde pouvait s'arrêter de tourner.
« Franchement, elle m'est sympathique, finit-il par dire avec un joli sourire. Elle fait tout ce qu'on lui demande, elle ne se plaint jamais ... elle a un côté brute de décoffrage, parfois, mais elle est ... sincère. »
Ce dernier mot le fit beaucoup rire, et Henry haussa un sourcil, circonspect. Que le diable l'emportât s'il arrivait à un jour à suivre ce qui se passait dans la tête de Lloyd.
« Sincère ? répéta-t-il.
-Enfin, pas dans le sens où on l'entend habituellement ... expliqua Lloyd comme si cela éclaircissait les choses. Je voulais dire qu'elle fait les choses avec le cœur. Elle s'investit à fond. »
Henry haussa les épaules. De toute façon, un cri au loin le dispensa de répondre. C'était Elliott, l'un des moniteurs, qui arrivait vers eux en appelant Lloyd.
« On a besoin de toi à l'accueil, il y a une sorcière qui veut inscrire ses trois petits-enfants à un stage d'après-midi, mais en cours privé, les informa-t-il, hors d'haleine.
-J'arrive ! » s'exclama aussitôt Lloyd en se laissant glisser à terre.
Les deux jeunes gens repartirent derechef, et Henry se retrouva seul. Il reprit son observation des Ethonans qui n'avaient pas cessé de brouter. En soi, il n'avait pas menti, il devait vraiment dresser les jeunes. Ça promettait d'être un sacré boulot, cette année, étant donné qu'il y avait eu huit naissances le printemps précédent. Heureusement, cette année-là, il n'y en avait eu que deux. Henry ne pouvait pas laisser son troupeau grandir démesurément, il ne pourrait pas s'occuper de tout sans embaucher plus de monde. Et Henry n'aimait pas le monde.
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Les Porte-à-faux
FanficLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...