Les Porte-à-faux

31. Isabel ou le monde est fait d'hystériques

Ne pas les traiter comme des pauvres idiots qui ne sont pas capables de comprendre ta situation.

« Yo, salut Isabel ! lança Lloyd lorsque la jeune fille entra au secrétariat. Ça farte ?

-Je te demande pardon ? s'exclama l'intéressée. Ça farte ? »

Le jeune homme éclata de rire devant son expression sidérée, ce qui ne fit que renforcer l'ahurissement d'Isabel.

« Non mais Lloyd, tu peux pas dire ça ... se lamenta-t-elle. C'est si ... c'est si ... beauf ! »

Son ton désespérée ne parvint qu'à faire rire Lloyd de plus belle. Isabel leva les yeux au ciel mais ses lèvres s'étirèrent irrésistiblement, et elle se mit à rire à son tour, gagnée par la joie communicative du jeune homme. Merlin que cela faisait du bien. Elle n'avait pas autant ri depuis des lustres.

« Ça fait trop plaisir de te voir comme ça, déclara-t-elle après quelques instants en s'essuyant les yeux.

-A cause de ma dispute avec Henry, tu veux dire ? » demanda Lloyd, soudain sérieux.

Houlà, terrain glissant. Isabel ne voulait pas s'y aventurer, d'autant plus que sa position au domaine était encore bien fragile. Alors, elle fit ce que tout le monde faisait depuis que le gérant et son assistant étaient brouillés : l'autruche. Elle eut un vague geste de la main qui pouvait signifier à peu près n'importe quoi et ouvrit la bouche pour changer de sujet, mais Lloyd la coupa :

« C'est bon, je sais très bien que vous avez tous remarqué qu'on s'était engueulés. C'est même plutôt rassurant, d'ailleurs, étant donné qu'on vit tous les uns sur les autres à longueur de journée. Et je n'en ai aucune honte.

-Ah, fit Isabel qui ne savait pas quoi dire d'autre.

-De fait, nous nous sommes disputés parce que nous n'avions pas le même avis sur un certain sujet, enchaîna Lloyd comme s'il avait répété son discours. Ça arrive, et ce n'est pas grave. J'ai un avis qu'Henry ne partage pas, tant pis pour lui. Je ne vais pas changer juste pour lui faire plaisir. N'est-ce pas ? »

Isabel haussa les épaules en même temps qu'elle effectuait un petit hochement de tête. Il y lut l'approbation qu'il recherchait, et releva le menton. Elle songea qu'elle aurait bien aimé savoir en quoi consistait exactement la dispute qui mettait Lloyd dans un tel état de remise en question personnelle. Elle songea également qu'à son avis, le jeune homme si souriant était complétement névrosé. Qu'est-ce qu'il cachait donc, ce sorcier aux allures de gendre idéal ?

« Bon, allez, au travail, reprit le gendre idéal. Tiens, tu as un nouveau contrat ? Qu'est-ce qu'il s'est passé, l'autre n'est plus valide ? »

Et hop, c'était parti pour une journée qui n'allait pas être agréable pour Isabel. Allez, courage.

« Ouais, y'a eu deux-trois soucis et l'ancien contrat n'est plus valide, lança-t-elle avant d'ajouter d'un ton négligent : c'est parce que je suis une Cracmol. »

Elle s'attendait à beaucoup de réactions de la part de Lloyd, mais certainement pas à ce que son sourire s'élargît et qu'il s'exclamât avec chaleur :

« Ah, c'est bon, tu as fini par le lui dire ?

-Quoi ? lâcha Isabel sans aucune élégance, la mâchoire décrochée. Mais qu ... comment tu ...

-Je m'en doutais, fit Lloyd en la regardant d'un air doux. Tu agis toujours comme quelqu'un qui n'a pas l'habitude d'utiliser la magie, pas comme une ado à qui on a interdit de l'utiliser.

-Mais t'as rien dit.

-Non. C'est ton choix de ne rien révéler. Moi, je n'ai rien à dire. C'est ta décision. »