Il l'attendait de pied ferme devant la barrière qui marquait l'entrée du domaine. Isabel s'y attendait, elle s'y était préparée, mais rien de tout ce qu'elle s'était répété pendant la nuit ne put empêcher son ventre de se serrer. Elle descendit de son vélo et marcha jusqu'à lui. Il la fixa sans sourciller pendant un long instant, et pour la première fois depuis longtemps, Isabel baissa les yeux.
« Explications », lâcha-t-il seulement.
Isabel soupira et commença à réciter mécaniquement le discours qui avait tourné dans sa tête toute la nuit.
« Je suis une Cracmol. Parfaitement sang-pur, il n'y a pas eu de Moldu dans ma famille depuis des générations, mais Cracmol. Je n'ai jamais reçu de lettre pour Poudlard et mes parents m'ont envoyée dans une école moldue. Mais moi, j'ai toujours voulu travailler avec les animaux. Quand on s'est occupé de la mésange, en juillet, je vous ai dit que je m'occupais souvent des animaux blessés que je ramassais dans la forêt. C'est vrai. Je les soigne tous, qu'ils soient magiques ou pas. J'aime ça. Ça ne me dérange pas de ne pas avoir de pouvoirs, je sais faire sans. Bien sûr, je ne pourrai jamais m'occuper de dragons ou d'animaux du même genre, je le sais très bien, mais il y a d'autres choses que je peux faire. Je peux être un atout. Ma place, elle est ici. Voilà. »
Henry n'avait pas desserré les dents pendant tout le monologue d'Isabel. Une fois qu'elle eût fini, il croisa les bras et ne dit rien. Isabel avait à nouveau baissé les yeux, incapable de soutenir son regard perçant. Elle n'en avait plus la force. Elle se sentait vidée, épuisée, et surtout terriblement fataliste.
Elle avait fait la fière, hier soir, mais aujourd'hui elle n'était plus sûre de rien. Sa mère avait fini par apprendre qu'elle travaillait au domaine, ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'elle ne la fasse revenir chez les Moldus. Et ce constat, au lieu de l'emplir de fureur comme à l'accoutumée, ne parvenait qu'à la rendre infiniment triste.
Elle releva la tête et croisa de nouveau le regard d'Henry, qui n'avait pas bougé. Qu'elle se sentait misérable, ce matin-là.
« Pardon, murmura-t-elle.
-Eh bien c'est pas trop tôt », bougonna le vieil homme en ouvrant enfin la bouche.
Isabel le dévisagea, interdite, et il pointa un doigt dans sa direction.
« Des excuses, la mioche, voilà ce que j'attendais. Des excuses. Tu nous as tous bien manipulés, ta mère, ton père, moi, mais maintenant il faut que t'apprennes où est ta place.
-Je suis tellement, tellement désolée ! s'exclama Isabel, mais la main levée d'Henry la fit taire.
-J'ai pas fini. Et puis arrête de dire que t'es désolée, parce que t'es juste désolée que j'ai appris la vérité dans ces conditions. T'es pas du tout désolée de t'être fait embaucher en te faisant passer pour une sorcière. »
Isabel baissa la tête.
« Ce que je suis en train de te dire, poursuivit Henry, c'est qu'il y a d'autres êtres humains autour de toi. Des personnes avec des sentiments. Se battre pour atteindre ses objectifs, c'est très bien, c'est pas moi qui vais te dire le contraire, mais écraser tout le monde autour de soi pour le faire, c'est la preuve d'un égoïsme incommensurable. Et me sors pas que t'as pas le choix, que dans ta condition t'es obligée de mentir pour t'en sortir, parce qu'on n'est jamais obligé de traiter les autres comme des objets. »
Isabel pinça des lèvres. Il en avait des bonnes, lui. Ce n'était décidément pas lui qui s'était retrouvé sans pouvoir dans un monde magique. Elle aurait bien aimé faire autrement, elle n'aurait pas demandé mieux.
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Les Porte-à-faux
FanficLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...