25. Isabel ou la coalition du monde contre soi

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La famille Emerson au grand complet était assise à table pour le dîner lorsque le hibou frappa à la fenêtre. La grand-mère releva la tête et lança avec son fort accent espagnol :

« Un hibou ? Qui donc peut envoyer du courrier à une heure pareille ?

-Il n'est pas si tard, la contredit Eugenia, la mère de famille. Edgar, va lui ouvrir. »

Son fils inclina la tête et s'exécuta. Assise un peu plus loin, entre son père et sa sœur aînée, Isabel ne prêtait pas vraiment attention à ce qu'il se passait. Elle jouait avec la sauce qui traînait dans son assiette, s'amusant à dessiner des formes avec sa fourchette. Elle avait fini depuis bien longtemps et attendait avec une patience qui était bien près de s'effriter que les autres terminassent enfin à leur tour. Elle avait trop de choses à penser pour perdre du temps à table, entre Henry et Lloyd qui ne se parlaient plus et faisaient planer une ambiance gelée sur le domaine, Della qui ne s'était toujours pas décidée à se dérider, Alban qui semblait soudain devenu muet et qui la préoccupait tellement qu'il l'avait tenu éveillée plusieurs nuits.

« Qu'est-ce que c'est ? s'impatienta Eugenia en voyant que son plus jeune fils n'avait pas bougé d'un poil depuis qu'il avait attrapé la lettre accrochée à la patte du hibou. Eh bien, réponds !

-C'est ... ma ... bégaya Edgar, la gorge serrée par l'émotion. Une lettre de Poudlard. Pour ... moi. »

Isabel releva la tête. Edgar retourna l'enveloppe de parchemin et montra à toute sa famille le sceau orné d'un aigle, un blaireau, un lion et un serpent entrecroisés qui attestait l'authenticité de la lettre.

« Bonne nouvelle, commenta Eugenia. Dépêche-toi de l'ouvrir. Et retourne t'asseoir.

-C'est fantastique, Edgar ! s'exclama Victoria, l'aînée des enfants, d'une voix sonore. Je suis super contente pour toi ! »

Un immense sourire illumina le visage du petit garçon, avant qu'il ne relevât la tête et croisât le regard de sa deuxième sœur. Isabel s'était figée, les doigts crispés autour de sa fourchette. Son visage impassible avait l'air d'avoir été moulé dans la cire. Victoria s'empressa de lui donner un coup de pied sous la table.

« Je suis super contente pour toi, répéta Isabel d'un ton qui signifiait le contraire. Vraiment, se ressaisit-elle. Il était temps qu'ils l'envoyassent ! termina-t-elle d'une voix qu'elle parvint à rendre chaleureuse.

-Merci », dit Edgar, reconnaissant.

Mais un rapide regard vers sa sœur le convainquit que ce n'était pas terminé. Il grimaça. Pourquoi le monde devait-il être si compliqué ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement se réjouir de sa lettre, comme tout jeune sorcier de son âge ?

« Range ça, tu la liras plus tard, ordonna Eugenia. Et termine ton assiette, pour l'amour de Dieu, on t'attend tous. »

Le petit garçon s'exécuta. Il avala son repas en deux minutes, brûlant d'impatience de déchirer l'enveloppe de parchemin. Dès que la dernière bouchée de dessert fut avalée, il desservit avec cent fois plus d'ardeur que d'habitude puis se précipita dans le placard à balais pour pouvoir lire sa lettre en paix. Ses mains tremblaient d'excitation. Il allait enfin entrer à l'école, apprendre à faire de la magie !

Quand il sortit de sa cachette pour monter à l'étage, une vingtaine de minutes plus tard, il vit que la porte de la chambre de ses sœurs était ouverte. Une voix en jaillit pour l'intercepter :

« Ed ?

-Oui », gargouilla-t-il, pas sûr de savoir ce qu'on lui voulait.

Ce fut Isabel qui sortit de la chambre. Elle dévisagea longuement son frère, et lui dit d'une voix claire et assurée :

Les Porte-à-fauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant