Le sorcier lança un regard las à Grace mais prit tout de même le temps de lire son dossier, ou du moins de faire semblant. En face de lui, la jeune femme, vêtue de sa plus belle tenue et maquillée, lui souriait avec une assurance qu'elle n'avait pas. Elle se trouvait actuellement dans l'un des bureaux de Gringotts, la banque des sorciers, et devait persuader cet homme assis en face d'elle que son projet méritait largement un bel investissement.
Les circonstances ne jouaient cependant pas en sa faveur. Il était dix-sept heures trente, elle était probablement le dernier rendez-vous de la journée et le sorcier devait avoir déjà vu une dizaine de personnes avant elle. Comme si cela n'était pas assez, la chaleur était étouffante en cette deuxième semaine de juillet. Bref, il fallait que Grace détonne, qu'on se souvienne d'elle, et si possible dans le bon sens du terme.
« C'est un projet résolument moderne, déclara-t-elle avec emphase, adapté à notre époque. La guerre contre Vous-Savez-Qui a laissé de terribles empreintes dans notre société, qui doit à présent panser ses plaies. Mais, à mon avis, les blessures les plus profondes sont invisibles. Nous n'osons plus sortir de chez nous, nous ne nous mélangeons plus, par peur que l'inconnu qui se trouve en face de nous et à qui on aurait souri il n'y a pas si longtemps ait commis des crimes de guerre. Or, cette peur de l'autre, au-delà du drame humain que cela représente, peut également se révéler dévastatrice pour notre économie. »
Le sorcier haussa les sourcils, l'air peu convaincu. Grace se dit qu'elle avait peut-être été un peu trop grandiloquente.
« Et, au-delà de ces considérations métaphysiques, en quoi consiste votre projet ? Concrètement et synthétiquement, si possible.
-Bien sûr, se reprit Grace en rosissant. Euh ... en fait, j'imagine un restaurant où l'objectif serait de faire des rencontres. Pas des rencontres amoureuses, bien sûr, juste d'échanger avec des personnes. A cet effet, j'ai prévu un plan assez particulier, regardez ... »
Grace sortit de sa pochette le plan sur lequel elle travaillait depuis plusieurs jours. C'était sa grande fierté. Elle avait imaginé une disposition qui permettrait de faire face au plus grand nombre de personnes possibles, et avait même, pour compléter, inventé des formes de tables particulières.
« Regardez, expliqua-t-elle. Par exemple, si je m'assois là, je suis entre deux personnes mais face à trois autres. Et cette personne, qui se situe en face de moi, se trouve également à proximité de ces deux autres. Ce qui fait qu'en tout et pour tout, je peux parler à cinq personnes différentes au cours du repas, mais ces cinq personnes peuvent elles-mêmes parler à d'autres, qui ne sont pas les mêmes. Vous voyez ? »
Le sorcier de Gringotts prit son temps pour répondre. Grace ne sut comment interpréter ce silence.
« Ecoutez, déclara-t-il finalement avec bienveillance. Votre projet est intéressant, je ne le nie pas. Mais il présente plusieurs défauts, dont le premier est très terre-à-terre : en pratique, il ne tient pas la route.
-Hein ? s'exclama Grace avant d'avoir pu se contrôler.
-Ça va être une cacophonie sans nom ... et regardez, les serveurs pourront à peine se déplacer, pareil pour les clients. C'est intéressant de vouloir réinventer les formes des tables, mais c'est intenable.
-Euh ... qu'est-ce que je dois comprendre ?
-Que nous n'allons malheureusement pas pouvoir retenir votre projet. Je vous invite en revanche à le travailler avec davantage de sérieux, pour nous le présenter de nouveau d'ici quelques temps.
-Travailler avec davantage de sérieux ? répéta Grace, incrédule. Mais c'est hyper sérieux ! J'y ai passé du temps ! Bien sûr, je comprends qu'il y ait des défauts, je vous remercie même de me les avoir indiqué, mais ça se corrige, les défauts ! Je suis sûre que mon idée a du potentiel !
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Les Porte-à-faux
FanfictionLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...