3. Henry ou comment mettre à l'aise

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Henry aurait tout donné pour ne pas se retrouver dans cette situation. Il n'aimait pas parler aux gens, ça n'avait pas changé depuis vingt-cinq ans, et il n'avait pas non plus l'intention de faire évoluer la chose.

Mais voilà, il avait bien été forcé de se rendre à l'évidence. Lloyd avait encore raison. Deux jours après leur discussion, Henry montrait à son assistant la lettre de la jeune sorcière qui voulait un stage, pour lui demander son avis. Lloyd n'avait pas hésité, il avait dit que ça méritait largement qu'Henry la rencontrât.

« Elle a l'air bien décidée, avait-il assurée. Et prête à faire n'importe quoi tant qu'on l'embauche. Répondez-lui. »

Henry avait encore retourné la chose dans sa tête pendant plusieurs jours, puis avait renvoyé un courrier à la fille. Elle avait répondu le jour même. Et c'était pour cela qu'Henry se retrouvait dans son secrétariat, figé sur une chaise derrière son bureau. Punaise, il ne savait même pas quoi lui dire.

Un éclat de voix le fit sursauter et il jeta un coup d'œil par la fenêtre. Dans la cour, Lloyd discutait avec une jeune fille brune aux cheveux courts. Il lui indiqua le bâtiment d'un geste de la main, et la fille prit cette direction d'un pas décidé. Pétard, ça allait être à lui.

« Bonjour ! lança-t-elle avec entrain en entrant.

-Oui », dit Henry, figé.

Elle referma la porte et se retourna. Elle avait des yeux bleu clair avec des taches plus foncées près de la pupille, qui balayèrent rapidement la pièce du regard, sans gêne. Puis elle releva la tête et croisa le regard d'Henry, qui se raidit.

« Asseyez-vous », lança-t-il d'une voix bourrue.

Elle s'exécuta et adressa un immense sourire à Henry qui se crispa. Pétard, il n'avait rien à lui, dire, lui, à cette fille ! Il en avait de bonnes, Lloyd, avec son entretien d'embauche ... Pour se donner une contenance, Henry parcourut du regard les deux lettres qu'elle lui avait envoyées, et son regard buta sur son nom pour le moins inhabituel.

« C'est quoi, ce prénom ? » lâcha-t-il.

La fille ne se démonta pas.

« Ma mère est espagnole, expliqua-t-elle sans se départir de son sourire. En revanche, mon père est tout ce qu'il y a de plus anglais, d'où le nom de famille.

-Mouais ... »

Il lut encore une fois la première lettre, qu'il commençait à connaître par cœur désormais.

« Et t'es élève à Poudlard, c'est ça ?

-C'est cela, répondit la fille, et pour la première fois son sourire s'envola. Je rentre en sixième année.

-Donc t'as quel âge ?

-J'ai eu seize ans en mai.

-Et tu sais faire quoi ? »

Apparemment, elle s'attendait à cette question. La réponse fusa :

« Je sais m'occuper des chevaux, les nourrir, les panser, les sortir. J'ai déjà monté un Ethonan, plusieurs même. »

Henry n'accorda que peu de crédit à ses paroles. Elles étaient nombreuses, ces personnes qui se disaient capables de s'occuper des animaux. De là à ce qu'elles aient un réel talent, comme elles le prétendaient, il y avait un monde.

« Et balayer, nettoyer des écuries, donner à manger aux chevaux, tu sais faire ? demanda-t-il d'un ton abrupt.

-Euh ... oui, oui, répondit-elle, pour une fois décontenancée. Bien sûr », reprit-elle d'un ton plus assuré, en défiant Henry du regard.

Le gérant, qui en avait vu d'autres, ignora son regard perçant. Si cette môme s'occupait de faire les tâches ménagères, cela laisserait plus de temps à Nathaniel, Elliott et Radella pour sortir les chevaux, qui en avaient le plus grand besoin. Et à défaut d'être réellement douée, la fille avait l'air fiable. Henry compta jusqu'à dix dans sa tête pour être sûr.

« D'accord, lança-t-il sans plus de manières.

-Euh ... pardon ? répondit-elle, tandis que son sourire vacillait.

-C'est d'accord, j'ai dit. Je t'embauche. Tu commences maintenant.

-Et mon salaire ? »

Henry retint un grognement. Elle n'y allait pas par quatre chemins.

« On est le 6 juillet, déclara-t-il en consultant le calendrier magique accroché au mur. Il nous reste trois semaines pour le mois de juillet et quatre semaines en août, avant que tu ne retournes à Poudlard. Je te paye huit Mornilles la semaine, et tu as une journée libre par semaine. Pas le dimanche, évidemment, c'est l'une de nos journées les plus chargées. Disons le mardi. On fera un contrat de travail, mais il faudra que tes parents le signent aussi, vu que tu es mineure. C'est bon ? »

C'était clairement sous-payé, mais elle accepta sans rechigner. Henry se fit la réflexion qu'elle devait être sacrément désespérée.

« Allez, hop, au boulot, poursuivit-il. Tu vas aller laver les écuries.

-D'accord », s'exclama-t-elle d'emblée en sautant sur ses jambes.

Elle avait l'air débordante d'énergie, même pour une mission aussi peu passionnante. Mais bon, Henry s'en fichait. Tout ce qui lui importait, à lui, c'était qu'on fît ce boulot qui avait sacrément besoin de l'être.

Il retourna à ses papiers et se plongea dans la dangereuse mission de constituer le planning de la semaine prochaine. Il recevait beaucoup de demandes de clients, et c'était tant mieux parce que cela signifiait que son domaine fonctionnait bien, mais cela supposait également plus de travail. Cependant, cela allait très bien à Henry. Son métier était toute sa vie.

Une demi-heure plus tard, le bruit d'une porte qui s'ouvre le fit lever la tête. Ce n'était autre que Lloyd qui passait la tête dans son bureau.

« Eh bien, vous vous êtes décidé vite ! s'exclama-t-il en se laissant tomber sans façon sur un fauteuil. Elle vous a fait bonne impression ?

-Je ne l'ai pas encore assez vue pour me faire une idée, répondit Henry en retournant à ses papiers, mais je l'ai gardée faute de mieux. Tu lui as parlé ?

-Oui, je lui ai fait visiter le domaine, je lui ai présenté l'équipe, quelques chevaux ... elle est pétillante d'énergie, ça fait plaisir à voir !

-Elle est là pour bosser, pas pour taper la discute.

-Je sais, je sais. Mais c'était juste pour l'aider à s'acclimater. Enfin, si cela peut vous rassurer, elle n'a pas l'air d'être une tire-au-flanc ! Elle s'est mise au travail dès que je l'ai laissée.

-Tant mieux, c'est pour ça que je le paye. D'ailleurs, il faut qu'on lui fasse un contrat de travail. Tu peux me faire ça ?

-Bien sûr ! Vous m'avez fait une fiche avec les infos ? Genre son âge, identité, salaire, tout ça.

-Tiens ça. Allez, fiche-moi la paix maintenant. Et arrête de dire genre à tout bout de champ, gamin, par pitié. »

La remarque fit rire Lloyd. Il se saisit du papier qu'Henry lui tendait et y jeta un rapide coup d'œil. Cependant, alors qu'il allait repartir, il s'étrangla et releva les yeux vers son patron.

« Qu'est-ce que t'as ? lui demanda celui-ci.

-Huit Mornilles la semaine ? Sérieusement ?

-Quoi ? rétorqua Henry, sur la défensive. Elle est pas là pour faire des choses incroyables, elle va juste récurer les crottes pendant deux semaines.

-Je ne sais même pas comment elle a pu accepter, murmura Lloyd, plus pour lui-même que pour le gérant.

-Elle a accepté parce qu'elle voulait le boulot, oui ! Et maintenant va-t'en, tu m'énerves.

-Comme vous voulez, répondit Lloyd. Mais n'essayez pas de me faire croire que vous n'avez pas pensé qu'avec un salaire si bas, vous augmentiez les chances qu'elle reparte rapidement. »

Les Porte-à-fauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant