Trois coups frappés à la porte d'Henry retentirent avec force dans le silence de la nuit. Le cinquantenaire releva la tête, surpris, et regarda la pendule accrochée au mur : il était un peu plus de neuf heures du soir, le domaine était fermé depuis longtemps. Qui pouvait bien venir le voir à une heure pareille ?
Les coups se répétèrent et Henry se saisit de sa baguette, vieille habitude dont il n'arrivait pas à se débarrasser suite à la guerre contre Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Il s'approcha de la porte et regarda par le judas. Une femme un peu plus jeune que lui, dont les épais cheveux noirs étaient retenus en un chignon serré, se tenait sur le seuil, et derrière elle, les épaules voûtées, se trouvait la stagiaire.
Henry entrouvrit la porte et grogna, les doigts toujours serrés sur sa baguette :
« Oui ?
-Bonsoir monsieur, le salua la femme dans un rictus. Je suis Eugenia Emerson, avocate en droit magique. J'aimerais avoir une petite discussion avec vous, à propos de ma fille Isabel ici présente.
-C'est urgent ?
-Je crois bien », siffla la femme.
Henry n'avait qu'une envie, lui claquer la porte au nez, mais l'expression de terreur pure du visage de la stagiaire le convainquit qu'il y avait un problème. Et le vieil homme avait beau fuir les ennuis comme la peste, il ne voulait pas que la gamine eût des problèmes.
« Entrez », maugréa-t-il en ouvrant la porte.
La femme ne se le fit pas répéter deux fois et pénétra dans le bâtiment. Sa fille la suivit à quelques mètres de distance et alla se placer à une certaine distance, appuyée contre le mur comme si elle avait voulu que ce dernier l'avalât.
« J'aimerais savoir, reprit la femme en fixant Henry droit dans les yeux, si vous avez bien recrutée ma fille Isabel dans votre exploitation pour la durée des vacances d'été.
-Eh bien oui, confirma l'homme, soupçonneux. Il y a un contrat que vous avez signé, en tant que responsables légaux d'une sorcière mineure ...
-Un contrat ? s'exclama la femme en se tournant vers Isabel. De mieux en mieux ! Tu l'as fait signer à ton père dans mon dos.
-Non, répliqua Isabel en se redressant. J'ai imité vos signatures. »
Sa mère eut l'air sur le point de se jeter sur elle. Henry, lui, fut impressionné : il devait bien reconnaître que la gamine ne manquait pas de cran. Une vague de fierté l'inonda tandis qu'il observait Isabel qui se dressait face à sa mère, une lueur de défi dans ses yeux bleus.
« On peut faire un nouveau contrat, proposa-t-il d'un ton maussade. Et cette fois-ci, vous le signerez véritablement.
-Là n'est pas la question ! s'écria Mrs Emerson. Je découvre que ma fille me ment depuis des semaines, voilà le fond du problème ! »
Elle vibrait de colère et Henry se fit la réflexion que la vie de famille ne devait pas être facile au quotidien. Mais Isabel, loin de s'écraser devant son dragon de mère, s'avança de plusieurs pas et lança avec aplomb :
« Eh bien oui, j'ai menti. Et tu sais quoi ? Je ne regrette pas un instant, je recommencerais mille fois si c'était à refaire. Tu veux sans cesse m'éloigner du monde sorcier, et moi je veux te prouver que j'y ai ma place.
-C'est vraiment ce que tu penses ? Tu as beau te fourrer la tête dans le sable, un jour la réalité te rattrapera, et là tu regretteras de ne pas avoir suivi mes conseils ! »
Henry, outre le fait qu'il n'aimait pas beaucoup que son chez-lui devînt le théâtre d'une engueulade familiale, sentit qu'il lui manquait une donnée importante. Isabel dut capter son regard d'incompréhension, parce qu'elle se détourna de sa mère pour le fixer droit dans les yeux et déclarer avec nonchalance :
« Vous m'excuserez, j'ai oublié de vous informer de quelque chose. Je suis une Cracmol. »
Elle avait dit cela comme si de rien n'était, mais Henry eut l'impression qu'elle lui avait lancé un maléfice Explosif au visage. Une Cracmol ? Elle ? Elle lui avait dit qu'elle étudiait à Poudlard ... qu'elle n'avait pas le droit d'utiliser la magie parce qu'elle était mineure ...
« Tu ne lui avais pas dit non plus ? s'exclama Mrs Emerson. Tu t'enferres dans le mensonge, ma fille, c'est affligeant. »
Isabel redressa le menton. Pas un seul de ses muscles ne frémissait, mais ses yeux brillaient d'une rage froide.
« Affligeant ? Franchement ? Dans ce cas explique-moi comment tu es parvenue, toi, là où tu étais aujourd'hui ! Tout ce que tu as fait pour en arriver là, c'était beau ? C'était noble ? Il n'y a pas eu de manœuvres de bas étage ? Je te pose la question ! »
Elle ne laissa pas à sa mère le temps de répondre et se tourna vers Henry :
« Je vous présente mes excuses pour vous avoir menti. Je ne peux pas vous dire que je regrette, ce serait un autre mensonge. Jamais vous ne m'auriez laissé m'occuper des Ethonans si vous aviez su que je n'étais pas une sorcière. Donc je n'ai pas une once de regret. En revanche, je suis profondément désolée d'avoir trahi votre confiance. Je sais bien que je ne peux pas continuer à travailler ici, mais je tiens à vous dire que j'ai aimé le temps que j'ai passé au domaine. »
Le ton qu'avait employé la stagiaire était on ne pouvait plus formel et impersonnel, mais jamais Henry n'avait senti la jeune fille plus sincère. Elle se tourna ensuite vers sa mère et poursuivit. Maintenant qu'elle était lancée, rien ne semblait pouvoir l'arrêter. Et elle en avait, des choses à dire, la gamine.
« Voilà, c'est fait. Je vais arrêter de travailler ici et retourner à l'école moldue dans deux semaines. Mais ne t'inquiète pas, je reviendrai. Jamais je n'arrêterai d'essayer de trouver ma place ici, cracha-t-elle. Tu devais penser la même chose, il y a vingt ans, quand tu faisais tes études de droit. J'espère que ce n'est pas trop loin dans ta mémoire. En tout cas, autant te prévenir tout de suite : je vais continuer à être affligeante pendant un certain temps. Désolée. Ou pas.
-Isabel ! » cria sa mère.
Mais la jeune fille avait déjà fait demi-tour et posait sa main sur la poignée de la porte, prête à partir Merlin savait où. Elle ne se retourna pas lorsque sa mère l'appela, vibrante de colère, mais la voix claire d'Henry parvint à l'arrêter. Le vieil homme s'était redressé et lui avait lancé d'un ton sans appel :
« Tu commences à huit heures pétantesdemain matin. J'ai besoin de toi pour s'occuper des chevaux blessés. Cliffs'est luxé une aile et les autres ne savent pas s'y prendre. Je compte sur toi,gamine. »
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Les Porte-à-faux
FanfictionLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...