35. Isabel ou désillusions

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L'air de la fin du mois d'août était doux. C'était encore le petit matin, l'aube n'était levée que depuis peu. Isabel, sur son vélo bleu, était seule sur les routes. Elle n'avait pas réussi à fermer l'œil de la nuit et, n'y tenant plus, elle avait pris la direction du domaine A tire-d'aile.

Arrivée au sommet d'une colline, elle se laissa emporter par la vitesse sur la pente. Le vent fit voler ses courtes mèches en tous sens et gifla ses joues constellées de taches de rousseur. Elle ferma les yeux, s'abandonnant à la sensation de l'air frais qui ranimait sa peau. Dans ces instants-là tout avait l'air simple.

Une demi-heure plus tard, elle parvint à l'entrée du domaine. Tout était paisible, et demeurait identique au jour précédent, comme s'il ne s'était rien passé. De fait, ici, il ne s'était rien passé. La vie avait suivi son cours. La seule particularité du jour était qu'il faisait assez froid, plus que dans la campagne environnante. La météo du domaine avait vraiment une vie propre.

Isabel abandonna son vélo contre la grille et se dirigea vers le secrétariat. Elle savait que Lloyd l'y attendrait. Il avait écrit à Grace chez elle, hier soir, mais la jeune femme n'avait pas pu lui répondre, pour des raisons impliquant des trafics illégaux et la Brigade de police magique. C'était Isabel qui avait récupéré sa lettre et écrit à Lloyd pour lui dire que l'affaire était plus compliquée que prévu et qu'elle lui écrirait demain.

Effectivement, le jeune homme était là, les mains serrées autour d'une tasse de thé qui n'avait plus l'air très chaude. Il avait l'air hagard. Apparemment, lui non plus n'avait pas beaucoup dormi cette nuit.

Lorsqu'Isabel poussa la porte, il sauta sur ses pieds, tandis que la porte du fond, celle qui menait au logement d'Henry, s'ouvrait, laissant place au gérant.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? lança Lloyd à toute vitesse. Tu m'as fait hyper peur avec ta lettre hier ! Il se passe quelque chose avec Grace, c'est ça ? C'est sa mère ?

-Non, c'est pas sa mère, mais oui, il se passe quelque chose avec Grace », répondit Isabel qui avait du mal à regarder Lloyd dans les yeux.

Comment annoncer au jeune homme que sa copine venait d'être arrêtée, et serait probablement jugée dans les semaines à venir ? Personne ne lui avait appris. Heureusement, Henry intervint :

« Laisse-la respirer, Lloyd. Elle vient juste d'arriver. »

Lloyd pinça ses lèvres mais n'ajouta rien et s'assit à son tour, sans insister. Isabel profita de ce silence pour fermer brièvement les yeux et remettre de l'ordre dans ses pensées. Allez, elle était une personne organisée, on le lui disait souvent. Elle devait pouvoir résumer la situation simplement. D'abord, les choses évidentes.

« Du coup, commença-t-elle, on s'est rendu compte hier que tu connais ma voisine. Tu sors avec elle, même. Mais bon, elle n'en a pas parlé à sa famille, et c'est pour ça que le mec brun qui l'accompagnait hier – c'est son petit frère, Alban – avait l'air aussi surpris.

-Surpris est un euphémisme, grogna Lloyd. Mais ça, je le sais déjà, Isabel. Dis-moi ce qu'il s'est passé. Je sais, je sens que c'est quelque chose de grave. »

Isabel soupira.

« On a découvert, hier, qu'elle faisait partie d'un trafic d'objets magiques illégaux, la majorité volée. Me demande pas comment elle s'est retrouvée là, je n'en ai aucune idée.

-Un trafic d'objets illégaux ? répéta Lloyd, abasourdi. Non, c'est pas possible. Pas Grace. C'est la personne la plus entière, innocente, droite et digne que j'ai jamais rencontré, elle est ...

-Le fait est qu'elle a quand même trafiqué ces objets, le coupa Isabel, qui trouvait que ce n'était pas vraiment le moment pour une déclaration d'amour spontanée.

Les Porte-à-fauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant