Theophilius avait préparé un gratin de courgettes qui embaumait dans toute la maison. Grace sentit l'odeur dès qu'elle se matérialisa dans la maison. Manque de chance, elle atterrit trois mètres plus loin que prévu, en plein dans l'escalier. Elle n'arriva pas à se réceptionner et dégringola les marches sur les fesses.
« Quelle adresse ! Impressionnant, l'accueillit un ton railleur.
-Merci Alban, répondit sa sœur en se redressant. Nom d'un griffon, ça fait mal ! »
En plus de sa chute, la jeune femme luttait contre une migraine coriace depuis le matin. Par la barbe de Merlin, quand elle repensait à ce qui s'était passé la veille, elle avait envie de s'enterrer. Si ses souvenirs étaient justes, et elle priait pour que ce ne fût pas le cas, elle avait accosté un jeune homme et l'avait supplié de coucher avec elle. Mais quelle écervelée ... Jamais plus elle ne boirait le moindre verre.
Elle s'était réveillée ce matin dans une chambre qu'elle n'avait pas reconnue, et avait d'abord paniqué. Néanmoins, elle avait rapidement compris qu'elle se trouvait dans un hôtel sorcier près du Chemin de Traverse. La réceptionniste lui avait raconté qu'un jeune homme l'avait confiée au gardien de nuit, qui l'avait emmenée dans cette chambre avant de repartir aussitôt. Grace avait cru mourir de honte mais avait enfin respiré, soulagée. Elle n'avait rien fait d'inconsidéré avec le premier venu, c'était déjà ça.
« Ta journée s'est bien passé ? reprit Alban, tirant sa sœur de ses pensées.
-Pas mal. C'est un peu compliqué en ce moment, développa-t-elle, incapable de mentir en regardant son petit frère droit dans les yeux, mais je vais m'en sortir. »
Alban acquiesça, et elle le retint.
« Et ce n'est pas vraiment la peine que Papa soit au courant », précisa-t-elle.
Alban hocha la tête. Il comprenait. De fait, il était la seule personne au monde qui pouvait comprendre. L'espace d'un instant, elle fut tentée de tout lui révéler, mais elle s'en empêcha. Il devait se concentrer sur ses études, il n'avait pas besoin de se préoccuper pour son boulet de sœur.
« A table ! » appela Theophilius de la cuisine d'un ton joyeux.
Ses enfants débarquèrent aussitôt. Grace sortit sa baguette et ensorcela les assiettes et les couverts pour qu'ils sortent des placards et se placent sur la table d'eux-mêmes. Elle ne cassa qu'un verre, un record. Son père le répara sans rien dire, trop habitué.
Le début du repas se passa dans le silence. Malgré tous les efforts qu'il mettait à paraître plein d'entrain, Theophilius était épuisé. Grace, quant à elle, n'avait pas le cœur à rire, et Alban semblait perdu dans ses pensées. Il fallait dire aussi que la présence fantomatique de la mère, dont la place en bout de table restait désespérément vide, n'aidait pas à se sentir joyeux.
« J'ai quelque chose à vous dire », déclara soudainement Alban alors qu'ils finissaient leurs assiettes.
Il plongea sa main dans sa poche et en ressortit une enveloppe. Grace reconnut immédiatement le sceau orné d'un blaireau, un lion, un serpent et un aigle.
« Les B.U.S.E. ? » demanda-t-elle.
Alban acquiesça et tendit l'enveloppe à leur père. Theophilius s'en saisit et sortit le relevé de notes, qu'il parcourut du regard. Un large sourire se dessina alors sur ses lèvres et Grace soupira de soulagement.
« Quatre B.U.S.E. ! s'exclama Theophilius. Bravo mon fils !
-C'est trop bien ! s'enthousiasma Grace. Quelles matières ?
-Etude des Moldus, métamorphose, Soins aux créatures magiques et Défense contre les forces du Mal, énuméra Theophilius. Tu as bien calculé tes options, dis donc. C'est bien, ça te fait des points supplémentaires. »
Alban acquiesça. Il était étrangement silencieux, et Grace supposa que c'était parce qu'il n'aimait pas être ainsi félicité. Son frère était quelqu'un de simple. Qu'importe, elle était bien assez joyeuse pour deux.
« C'est super ! répéta-t-elle en venant prendre son frère dans les bras.
-Merci, dit Alban.
-Et du coup, tu passes en sixième année.
-Oui. Je n'aurai pas beaucoup de matières mais je passe.
-Félicitations, mon fils », intervint Theophilius d'une voix grave.
Il avait toujours le regard fixé sur le relevé de notes, mais Grace le sentit ému. Elle pouvait le comprendre : elle-même se sentait si fière de son petit frère ! Sa scolarité avait été pour le moins chaotique, entre des résultats plus que médiocres et des bagarres incessantes avec ses condisciples. Elle ne comptait plus le nombre d'heures qu'il avait passé en retenue, ni le nombre de fois où elle l'avait retrouvé avec le nez en sang lorsqu'elle-même était encore à Poudlard.
Elle avait beau tenter de la raisonner, Alban avait sa fierté et refusait de se laisser marcher sur les pieds, même si cela signifiait affronter dix personnes plus âgées que lui et bien plus douées en maléfices. Cela dit, c'était cette même fierté qui l'avait fait tenir ces six dernières années, et c'était grâce à elle qu'il en était là aujourd'hui.
Elle décrocha un éblouissant sourire à son frère qui leva les yeux au ciel.
« On fera un repas de fête pour l'occasion, demain, dit Theophilius en souriant à son tour, gagné par la bonne humeur de son aînée.
-C'est pas la peine, papa ... murmura Alban.
-Oh, protesta Theophilius en ébouriffant affectueusement les cheveux de son fils, laisse-moi te bichonner un peu avant que tu prennes ton envol ! »
Grace détourna les yeux. Il était bien loin, le jour où son frère et elle quitteraient la maison. Outre le fait que ni l'un ni l'autre n'avait assez d'argent pour louer un logement, il était hors de question d'abandonner leur père.
Cette réflexion en amenant une autre, les soucis de Grace, qu'elle avait réussi à oublier le temps d'un dîner, lui revinrent en pleine face. Elle ne pouvait décemment pas se contenter de son emploi de serveuse dans ce bar moldu. D'abord parce que sa maladresse ne la rendait pas vraiment apte à ce travail, mais ensuite et surtout parce qu'elle était une sorcière, mille Gorgones !
Ce soir, le succès de son frère la remplissait d'une détermination nouvelle. Elle n'avait plus mal à la tête, sa cuite de la veille était enterrée et oubliée. Oui, songea Grace en contemplant les deux hommes qui partageaient son repas, il était temps qu'elle se reprît. Personne ne voulait d'elle ? Qu'à cela ne tînt, elle créerait sa propre entreprise. Oh, bien sûr, ce serait quelque chose de bien modeste au début, mais elle travaillerait comme quatre et ferait grandir son commerce.
Et surtout, elle serait elle-même son propre chef. L'expérience de son renvoi de la société de livraisons magiques l'avait vaccinée.
Grace se sentait soudain pleine d'énergie. Elle lança la vaisselle d'un coup de baguette magique, en réussissant l'exploit de ne rien casser, et abandonna son père et son frère pour filer dans sa chambre. Si le premier lui jeta un regard surpris, Alban ne lui prêta pas attention. Il s'était assis au piano et avait commencé à jouer, et Grace savait que pendant ces moments-là, il fallait au moins un maléfice Explosif pour capter son attention.
Elle claqua la porte de sa chambre et sauta sur son lit. Elle fourmillait d'idées, tout excitée à l'idée de pouvoir faire ce qu'elle voulait. Bien sûr, il fallait que ce soit un projet réalisable, elle devrait avoir l'air sérieux lorsqu'elle présenterait la chose à Gringotts dans l'espoir d'obtenir des fonds. Non, ce qui lui fallait, c'était une idée nouvelle, brillante, qui la lancerait dans un domaine où elle ne trouverait pas de concurrence.
Elle travailla sans relâche pendant toute la nuit, notant fiévreusement tout ce qui lui passait par la tête. Elle fit des calculs de budget, des schémas, des graphiques – pour ce dernier point, il serait plus juste de dire qu'elle tenta d'en faire, et que le résultat fut tellement catastrophique qu'elle éclata d'un rire nerveux incontrôlable pendant une bonne demi-heure.
Enfin, vers trois heures du matin, elletrouva son idée.
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Les Porte-à-faux
FanfictionLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...