Grace se laissait porter. En fait, elle avait l'impression de s'être envolée de son corps, comme si son âme s'était échappée et contemplait son enveloppe charnelle de là-haut, indépendante. C'était paisible, et à la fois ... à la fois ... quoi ? Elle n'alla pas jusqu'au bout de sa pensée. Pas la force.
Eugenia Emerson vint la voir quelque temps après son arrestation. Grace était dans une cellule, petite et très claire – ça blessait les yeux. Elle était très sage, elle passait ses journées assise sur son lit, sans bouger. Elle mangeait quand on le lui disait et elle se levait quand on le lui disait.
Eugenia était venue pour qu'elles préparent, ensemble, la défense de la jeune femme. Bon, elle s'était rapidement rendu compte qu'elle aurait à le faire seule. Grace la regardait docilement mais fixement, inerte. Les mots entraient dans son cerveau comme un souffle de vent qui ne laisse pas de trace.
Le seul moment où une lueur de vie sembla se rallumer au fond des yeux de Grace fut lorsqu'Eugenia expliqua comment le réseau avait été démantelé. La Brigade de police magique lui avait tendu un piège. La sorcière blonde qu'elle avait croisée, et à qui elle avait si naïvement remis son chargement, faisait partie du Ministère. Et dire que Grace s'était inquiétée qu'elle fût d'un autre réseau, rival ... c'était dérisoire, dérisoire.
Elle se souvenait qu'au tout début de son implication dans ce trafic, elle s'était imaginée, un soir dans son lit, ce qui se passerait si elle était arrêtée. Elle n'était pas totalement cruche, elle savait qu'elle faisait des choses illégales, quoiqu'en dît Eugenia aux autorités. Ce soir-là, Grace avait déployé un arsenal d'arguments dans sa tête. Elle s'était enflammée, avait presque souhaité être arrêtée, pour pouvoir se défendre devant une salle d'audience comble, où la foule se sentirait touchée par ses mots puissants et sincères.
Mais la salle dans laquelle on l'emmena, quelques jours après le passage d'Eugenia, n'était qu'une pièce poussiéreuse remplie de gens poussiéreux. Pas une foule de curieux comme pour les jugements des plus grands criminels, et même pas un grand nombre de gens de lois. Simplement des petits fonctionnaires ridés, qui avaient hâte de terminer leur journée. Grace les avait comptés, ils étaient quatre. Ce n'était qu'un petit procès, comme il y en avait tous les jours. Finalement, Grace n'aurait jamais réussi à devenir quelqu'un d'important.
Dans ce rêve qu'elle avait fait, avant, lorsque tout était plus simple, Grace avait défendu les petits lors de son procès imaginaire. Les oubliés, ceux qui ne s'en sortaient pas vraiment, mais tout de même suffisamment pour ne même pas compter au rang des moins-que-rien. Elle avait clamé à un juge fictif qu'elle ne voulait pas aller à l'encontre de la loi, mais que c'était sa seule possibilité. Qu'elle voulait exister. Qu'elle croyait dur comme fer que rien n'était fixé et qu'elle pourrait trouver sa place.
A présent, Grace se rendait compte que tout était fixé et qu'elle n'avait qu'à attendre que la vie, cette grande broyeuse, fît son œuvre sur elle.
« Nous sommes ici pour donner lieu au procès de Miss Grace Evelyn Ingham, commença le juge d'une voix forte, accusée de participation à des activités de vol, recel et vente non déclarée d'objets interdits par le Ministère de la Magie, liste C, ainsi que des potions mortelles et armes de catégorie 2. »
Les témoins vinrent chacun à leur tour. Il y avait Mrs Abbott et son regard d'aigle – Grace n'arrivait même plus à la détester –, le sorcier de Gringotts dont elle avait oublié le nom, un policier dont elle apprit avec étonnement qu'il l'avait filée durant les derniers jours. Puis Theophilius vint à la barre.
Là, Grace ne put rester inerte. Elle se redressa avec une vivacité qui fit sursauter son gardien, habitué à l'immobilité de la jeune femme. Elle fixa son père sans ciller, pour lui faire tourner la tête et croiser son regard, pour lui dire ... lui dire quoi ?
Mais lorsque les yeux de Theophilius rencontrèrent ceux de sa fille, le vieil homme baissa tristement le regard.
Eugenia défendit Grace avec vivacité. Ses phrases étaient courtes, claires et percutantes. Grace l'écouta avec fascination, et elle se rendit compte alors de la chance qu'elle avait que sa voisine, l'une des plus grandes avocates du pays, se donnât le mal de se battre pour elle. En plus, elle le faisait sûrement pour une bouchée de pain – ou du moins, Grace l'espérait, parce que sinon Theophilius allait devoir vendre la maison.
La plaidoirie d'Eugenia fut efficace. Grace écopa de six mois avec sursis, et de trois mois de réclusion légère, dans une maison d'arrêt gardée par des sorciers et non par les terribles Détraqueurs. Elle aurait pu éviter la réclusion si le paquet qu'elle avait transporté, le seul, n'avait pas été une arme létale. En l'occurrence, une théière d'aspect inoffensif mais qui pouvait tuer, Grace n'avait pas trop compris comment, celui qui l'utilisait.
Elle fut conduite, par transplanage, dans la maison d'arrêt. On lui jeta le sort réservé aux petits délinquants, comme elle, ceux qu'on ne voulait que légèrement punir. Une brume violette vint entourer Grace, l'empêchant de voir avec netteté ce qui se trouvait à plus de cinq mètres d'elle, et qui devait l'empêcher de s'enfuir. Puis, une fois l'envoûtement en place, elle fut emmenée dans sa cellule.
« Vous verrez, c'est assez confortable, l'informa le gardien, qui avait l'air désolé que cette jeune femme d'aspect inoffensif fût enfermée chez lui. On a tout refait l'année dernière, il y a beaucoup plus de place et vous pourrez être seule, vu que vous ne restez pas longtemps. Vous aurez droit aux visites d'ici une semaine. Il y a une infirmerie avec un mage psychologue, un rendez-vous quotidien est prévu avec lui. »
Grace lui sourit avec peine. Cet effort l'épuisait.
« Est-ce que je peux envoyer du courrier ? demanda-t-elle.
-Oui, c'est autorisé.
-Dans ce cas, est-ce que je peux avoir une plume et deux parchemins, s'il vous plaît ?
-Maintenant ? » fit le gardien, un peu surpris.
Elle confirma d'un signe de tête. Il marmonna quelque chose, se gratta la tête puis se mit en quête des objets demandés, qu'il fit parvenir à Grace.
Celle-ci s'assit sur son lit, déboucha le flacon d'encre et y plongea sa plume. Sur le premier parchemin, elle rédigea une lettre pour Eugenia, en la remerciant chaudement de son aide. Elle écrivit lentement mais sans hésiter, car elle savait parfaitement ce qu'elle voulait dire. Elle cacheta la lettre, et déplia le deuxième parchemin, qui était destiné à son père.
Là en revanche, sa plume resta suspendue au-dessus de la surface jaunâtre. Elle resta longtemps ainsi, le regard perdu dans le vague. Elle avait tant de choses à dire, mais elle ne savait pas lesquelles. Puis, finalement, elle baissa la main et traça lentement six lettres :
PARDON.
Pardon d'avoir été faible, alors que toi tu ne l'as jamais été.
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Les Porte-à-faux
FanficLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...