16. Grace ou le non-sens de la vie

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C'était le troisième rendez-vous de Grace à Gringotts. Cette fois, son projet était bétonné elle l'avait retravaillé sans relâche en suivant les conseils du sorcier-financier qui la recevait à chaque fois. Elle avait fini par apprendre son nom, Carlsmith.

« J'ai tout repensé, commença-t-elle immédiatement en étalant ses plans sous le nez du sorcier. Effectivement, inventer de nouvelles formes de table, ce n'est pas réalisable. Donc, je me suis dit : et si nous nous occupions de mélanger nous-mêmes les clients ? Chaque personne qui entrerait serait d'accord pour être placée au milieu d'inconnus, qui eux-mêmes ne se connaîtraient pas entre eux. Vous saisissez le principe ? »

Carlsmith se passa une main sur le front.

« Miss Hadlee, commença-t-il, et Grace le vit venir à mille kilomètres. Vraiment, j'admire votre détermination. Vous êtes travailleuse, et même plus que cela, et je crois que j'ai rarement été autant harcelé par une personne aussi jeune. »

Il disait cela sur le ton de l'humour, mais Grace ne sourit pas.

« Mais votre idée ne tient pas la route. Des bars, on en a déjà, et votre concept ...

-Mon concept est carrément original ! Ça n'a jamais été fait !

-Justement, reprit Carlsmith d'un ton grave. Si ça n'a jamais été fait, c'est pour un bonne raison. Ecoutez-moi bien. Vous débordez d'énergie, vous avez plein d'idées et vous voulez changer le monde. Mais le monde, lui, n'a pas envie de changer.

-Comment ça ?

-C'est une douloureuse leçon pour les jeunes, mais il faut en passer par là. Vous allez trop vite. Le monde ne supporte pas les changements trop radicaux. Alors oui, il y a des choses à créer, à transformer, certaines même à supprimer, mais tout se fait lentement.

-Donc ... si je comprends bien, vous me dites qu'il faut qu'on attende que les gens se rendent compte par eux-mêmes que leurs voisins peuvent être dignes de confiance, que la guerre est terminée ?

-Qu'ils laissent tomber eux-mêmes leurs défenses, oui. On ne peut pas les forcer à s'ouvrir. Tout le monde a énormément souffert pendant cette guerre, on ne pouvait plus faire confiance à personne. Il faut du temps pour revenir à la normale. Si vous essayez d'accélérer le cours des choses, vous ne ferez que brusquer les gens. »

Grace se tut, ébranlée. Plusieurs minutes de profond silence s'écoulèrent, puis la jeune sorcière releva les yeux.

« Je refuse.

-Je vous demande pardon ?

-On ne peut pas rester comme ça ! On est ... enfin, notre société est complétement dysfonctionnelle, je ne vais pas vous l'apprendre !

-Dysfonctionnelle, vous y allez fort.

-Mais à un moment, il faut dire les choses ! »

Grace se leva d'un bond et se mit à crier, le doigt tendu vers Carlsmith.

« Tout le monde s'est replié sur lui-même, personne ne parle à personne, comment vous voulez qu'on avance avec ça ! Et ceux qui ont du pouvoir refusent de le partager, parce qu'ils ont trop peur qu'on le leur vole ! Mais c'est carrément contre-productif ! D'accord, les dirigeants ont peur que le pays tombe de nouveau dans le chaos, et je le comprends très bien, mais ce n'est pas en figeant les choses que ça va s'arranger ! C'est de l'immobilisme, et c'est comme ça qu'on arrivera à une autre guerre sorcière ! Parce que les gens se sentent mal !

-Grace, s'il vous plaît, calmez-vous, dit Carlsmith avec douceur. Ecoutez-moi. Bien sûr que vous avez raison, sur le fond. Il faut changer les choses, et l'immobilisme est le pire qui puisse nous arriver. Mais vous vous trompez sur les moyens. S'il vous plaît, croyez-en mes cinquante années d'expérience. Je ne prétends pas être plus intelligent que vous, simplement avoir plus vécu. »

Les Porte-à-fauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant