4. Isabel ou l'air de rien

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Isabel sauta du bus avec légèreté et détacha le vélo bleu accroché à une barrière derrière l'arrêt. Elle avait envie de sauter et de danser : enfin, enfin, elle y était parvenue, par le caleçon de Merlin ! Elle enfourcha son vélo et se mit à pédaler comme une folle, sans prêter aucune attention à la sécurité routière la plus élémentaire. De toute façon, les routes de ce petit coin paumé de la campagne galloise étaient désertes. C'était d'ailleurs bien pour cette raison que la famille d'Isabel, entièrement composée de sorciers, avait choisi cet endroit pour s'établir.

Elle gravit une première colline en danseuse puis se laissa emporter par la vitesse sur la descente, le vent sifflant dans ses oreilles. Elle ne put s'empêcher de se mettre à chanter. Elle avait enfin trouvé un emploi lié aux animaux magiques ! Depuis le temps qu'elle le cherchait. Et peu lui importait qu'elle soit surtout là pour ramasser le crottin, elle s'en moquait éperdument. Elle était déterminée à gravir les échelons, et pour cela elle savait bien qu'elle devait commencer par le bas. Mais elle était bien déterminée à se voir confier des tâches plus importantes.

Elle quitta brutalement la route pour emprunter un chemin forestier, pratiquement invisible pour les gens ordinaires dont Isabel ne faisait cependant pas partie. Elle pédala encore une dizaine de minutes à travers la forêt, passa devant une autre maison sorcière, celle de ses voisins, les Hadlee, et fut bientôt en vue de sa propre maison.

Elle abandonna son vélo sans cérémonie devant l'entrée, puis se faufila discrètement jusqu'à la salle de bains, à l'étage. Elle ne voulait même pas imaginer le savon que lui passerait sa grand-mère si elle la voyait arriver en sentant le crottin d'Ethonan à dix mètres à la ronde. Et heureusement que sa mère n'était pas à la maison en ce moment !

En sortant de la douche, elle se sentait si pleine d'énergie qu'elle envisagea un moment de partir faire un tour à vélo. Seulement, elle avait à peine posé un pied sur la première marche de l'escalier qu'elle entendit le bruit caractéristique de la porte, puis la voix de sa mère qui claquait :

« Je suis rentrée ! »

Mieux valait avoir l'air calme et civilisé. Isabel se composa un visage serein et descendit avec tout le flegme dont elle était capable.

« Bonjour, mamá, lança-t-elle en entrant dans le salon où se trouvaient sa mère et sa grand-mère. Bonne journée ?

-Oui, ça allait, répondit Eugenia en agitant sa baguette pour que sa mallette rejoigne sa chambre en voletant. On est en pleins préparatifs du procès Lestrange. Ils avaient été envoyés en prison il y a quatre ans, tout le monde pensait que c'était terminé, mais non, quelqu'un a ressorti un vieux papier qui fait qu'on doit tout recommencer ... Bref, l'appel aura lieu à la fin du mois de juillet. Je suis très occupée. »

Isabel se retint de lui répondre qu'elle n'avait pas besoin du procès d'un ancien Mangemort pour être très occupée. Eugenia était avocate en droit magique, elle était à la tête d'un important cabinet dont elle avait pris la direction suite à une lutte acharnée avec ses collègues, luttant contre les préjugés associés à son statut de femme et d'immigrée espagnole.

« J'espère qu'ils les condamneront à mort, intervint la grand-mère, assise dans un coin, à côté de son aiguille qui brodait un morceau de tissu seule. Ils ne méritent pas mieux. »

Eugenia ne prit même pas la peine de dissimuler son soupir agacé.

« On ne condamne pas à mort comme cela en Angleterre », rétorqua-t-elle sèchement.

Isabel retint un rire. Sa grand-mère, dont elle avait hérité le prénom, avait parfois des mœurs assez brutales.

« Nous passerons à table dans une demi-heure, reprit Eugenia. Où est Stan ?

-Ton mari n'est pas encore arrivé, expliqua sa mère qui était toujours au courant de tout ce qui se passait dans cette maison. Mais Isabel vient de rentrer, après avoir passé toute la journée dehors, ajouta-t-elle l'air de rien. Elle n'est même pas revenue pour le déjeuner.

-Et où allais-tu comme ça, sans même prendre le temps de nous informer ? » demanda Eugenia en foudroyant sa fille du regard.

Isabel aurait bien voulu assassiner sa grand-mère sur place. Cette soirée allait mal se finir, elle le sentait. Mais bon, autant être honnête. Enfin, pas complétement honnête non plus, tout de même, simplement un petit peu. Le mensonge par omission était-il un mensonge ?

« Je cherche un job d'été », expliqua-t-elle.

Eugenia haussa les épaules et alla s'asseoir à la table du salon, une pile de parchemins sur les genoux. L'explication lui convenait. En fait, réalisa Isabel, sa mère s'en fichait. Tant mieux, quelque part. En revanche, sa grand-mère avait l'air beaucoup plus intéressée par le sujet, en attestait sa mine déconfite devant l'abandon de la conversation. Isabel leva les yeux au ciel et sortit les assiettes pour mettre le couvert. Sa grand-mère était la pire concierge de l'univers.

« Demande à quelqu'un d'utiliser la magie pour ça », intervint Eugenia sans lever les yeux de ses dossiers.

Elle avait sorti une plume de son sac et annotait activement son parchemin.

« Ça ne m'embête pas, riposta Isabel. Je peux parfaitement me débrouiller sans magie. »

Elle retourna à sa chambre en quatrième vitesse une fois sa tâche finie, abandonnant sa mère et sa grand-mère au silence feutré du salon. Sa sœur aînée, Victoria, qui partageait sa chambre, était allongée sur son lit, profondément endormie. Isabel ne résista pas. Elle s'approcha à pas de loups, se pencha près de l'oreille de sa sœur et hurla à pleine voix :

« Debout ! »

Victoria sursauta violemment et se redressa si brusquement que sa tête heurta le mur derrière elle. Elle poussa un cri de douleur et battit des paupières, désorientée. Lorsqu'elle repéra sa petite sœur qui se tordait de rire devant elle, elle grogna :

« Saleté.

-J'ai pas pu résister, c'était trop tentant, se défendit Isabel sans cesser de rire.

-Je te jure, je vais apprendre les pires sortilèges du monde rien que pour te les balancer.

-C'est ça, je te crois. 

-C'est vrai que ce n'était pas très drôle, comme blague », intervint le miroir accroché en face du lit superposé.

Les deux sœurs l'ignorèrent totalement.

"Bon, sinon, raconte, poursuivit Victoria. Comme t'es pas revenue de la journée, j'ai supposé que soit il t'avait dit non et t'avais passé la journée à donner des coups de pied dans tout ce qui passait à ta portée, soit il t'avait dit oui et tu avais passé la journée à faire la fête.

-Presque. C'était un oui, et il m'a fait travailler dès aujourd'hui. J'ai même un contrat ! »

Un franc sourire illumina le visage de Victoria et elle serra sa petite sœur dans ses bras.

« Bien joué ! T'as bien fait de t'accrocher. Tu vas voir, ils finiront bien par se rendre compte que tu es tout à fait capable de te débrouiller. »

Elle allait ajouter quelque chose mais se ravisa en voyant le sourire un peu crispé d'Isabel. Ses sourcils se froncèrent.

« Attends ... tu leur as dit, n'est-ce pas ?

-C'est marrant, parce que tu es rousse mais que tes sourcils sont bruns.

-Isabel ! Me prend pas pour une idiote ! Tu leur as dit, ou quoi ? »

La jeune fille voulut encore esquiver, mais sa sœur l'attrapa par le bras et la força à la regarder.

« J'ai ma réponse, grinça-t-elle. Mais tu sais que ça ne va pas pouvoir durer ?

-Et pourquoi pas ? »

Victoria allait répondre mais la voix de leur mère résonna, magiquement amplifiée, depuis l'étage inférieur :

« Chicas ! A comer !

-Tu t'es fourrée dans une sale histoire », commentale miroir avec un plaisir évident tandis que les deux filles sortaient de lachambre.


Les Porte-à-fauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant