Alban se matérialisa dans une cuisine qui n'était pas la sienne. Déséquilibré par l'atterrissage violent, il se rattrapa au plan de travail, le cœur tambourinant à tout rompre, tandis qu'un cri de surprise retentissait à ses oreilles.
Le monde redevint progressivement net et il aperçut une femme âgée qui pointait sa baguette sur lui, le visage fermé. Il reconnut Isabel, la grand-mère de ses voisins, et soupira. Bon, il était toujours aussi nul en transplanage, mais au moins il n'avait pas atterri trop loin, cette fois.
« Alban ! s'exclama Isabel, qui l'avait aussi reconnu. Qu'est-ce que tu fais là ?
-Petite erreur de destination, grimaça le jeune homme. Je voulais simplement rentrer chez moi.
-Je ne savais pas que tu avais ton permis ... » rétorqua Isabel en jetant un regard soupçonneux à la pommette fendue du garçon et à son T-shirt déchiré.
Alban adressa un sourire aiguisé à la vieille femme, qui ne se laissa pas conter fleurette et leva les yeux au ciel.
« Fais attention, idiot, répliqua-t-elle en le menaçant de la louche qu'elle tenait à la main. Tu vas finir par te désartibuler.
-Ne vous inquiétez pas, j'ai suivi tous les cours. Sauf que je n'ai pas pu passer le permis en même temps que les autres, parce que je suis du mois de novembre. C'est complétement idiot, mais je dois attendre la session de septembre. »
A ce moment, la marmite posée sur les feux rota bruyamment et une fumée à l'odeur nauséabonde s'en éleva. Alban ne put retenir un haut-le-cœur.
« Nom d'un griffon, Isabel, mais c'est quoi cette potion que vous préparez ?
-Ce n'est pas une potion, ignare, gronda la vieille Espagnole, toute rouge, avec un accent à couper au couteau. C'est un plat de chez nous, bien meilleur que vos infâmes ragoûts anglais. »
Alban s'abstint de tout commentaire, mais il doutait fortement de l'affirmation de la vieille femme. Le mélange dans la marmite était d'une couleur bleue peu engageante et des bulles éclataient fréquemment à la surface avec un bruit d'évier qu'on débouche. Les Espagnols étaient complétement timbrés. Il n'avait pas tellement besoin qu'on le lui prouve, avec Isabel petite-fille, mais la grand-mère venait de le lui démontrer brillamment.
« Bon, eh bien, je vous abandonne, lança le jeune homme. Je vous laisse avec votre délicieux plat. Encore désolé pour l'erreur de transplanage ! »
Il sourit une dernière fois à la vieille femme qui grommela il ne voulait pas savoir quoi et fila sans demander son reste. Il claqua la porte de la maison des Emerson qui grogna et fit bien exprès de se refermer en douceur, et fila chez lui.
Il lui fallait à peine cinq minutes de marche pour rentrer chez lui depuis la maison des voisins, et il connaissait le chemin par cœur étant donné le nombre de fois qu'il l'avait parcouru. Pour une raison qu'il ignorait, sa mère, Mae, était très amie avec Eugenia Emerson. Cette dernière était l'une des femmes les plus strictes et ambitieuses qu'Alban connaissait. Pas étonnant que ses enfants fussent tous totalement toqués ... Enfin, surtout en ce qui concernait les deux aînées, Victoria et Isabel. Le benjamin, Edgar, était un enfant sage et sans histoire. Le contraire d'Alban, finalement.
Le jeune homme fut bientôt en vue de sa maison. Elle était vide à cette heure-ci, car Theophilius, le père d'Alban, et Grace, sa grande sœur, travaillaient. Il n'y avait que Mae, la mère, à l'étage, mais Alban n'était pas sûre qu'on puisse réellement la compter comme personne présente.
Malgré tout, il entra sans faire de bruit. La porte n'était pas aussi caractérielle que celle des voisins, heureusement, mais il fallait dire que les sorciers méditerranéens étaient connus pour communiquer leur magie à leurs objets familiers. Dans le cas des Emerson, le résultat était plutôt cocasse.
Alban fila dans le salon et se jeta sur le canapé. Il aurait bien voulu s'enfermer dans sa chambre, mais sa mère l'aurait entendu monter les marches. Or, là, il avait surtout besoin de tranquillité.
Le cœur battant, il se saisit de l'enveloppe qu'il avait dissimulée dans la poche de son jean. C'était pour cette lettre qu'il faisait le guet depuis deux semaines autour de la maison, pour cette lettre qu'il avait transplané par mégarde chez les voisins après avoir fui un hibou enragé qui ne voulait pas se faire piquer son courrier. Cette lettre qui ne devait en aucun cas tomber entre les mains de ses parents.
Il décacheta l'enveloppe en vitesse et sauta l'en-tête, qu'il connaissait un peu trop bien à son goût. C'était en effet la deuxième fois qu'il recevait ce genre de courrier. Il sauta directement à la partie qui l'intéressait :
BREVET UNIVERSEL DE SORCELLERIE ELEMENTAIRE
ALBAN WALDO HADLEE A OBTENU :
Astronomie : T
Etude des Moldus : P
Soins aux créatures magiques : D
Sortilèges : D
Défense contre les forces du Mal : P
Botanique : T
Histoire de la Magie : T
Potions : T
Métamorphose : A
Le cœur d'Alban tomba dans sa poitrine, tandis que le jeune homme jetait avec rage le parchemin à l'autre bout de la pièce.
Une B.U.S.E., par le caleçon de Merlin ... une seule ... C'était encore pire que l'année dernière. Alban avait en effet dû redoubler sa cinquième année à cause de résultats trop faibles. Mais il n'avait fait que dégringoler. L'année précédente, il avait obtenu un E en Défense contre les forces du Mal, et il n'avait même pas la moyenne cette année. En plus, il avait quatre T.
Certes, il n'était pas surpris, mais cela ne l'empêchait pas d'avoir mal au cœur. Il avait toujours été une bille en botanique, même Isabel était plus douée que lui avec les plantes magiques, et il n'avait pas mis les pieds à un cours d'Histoire de la magie depuis la troisième année. En Astronomie, il s'était carrément endormi pendant l'épreuve, épuisé par les nuits blanches passées à réviser. Mais les potions ? Il s'était toujours débrouillé pour rester au niveau ... en plus, il n'avait pas eu une si mauvaise impression pendant l'épreuve.
Il était bon pour les rattrapages qui auraient lieu à la fin du mois de juillet. Rien qu'à cette pensée, une immense lassitude l'envahit. Passer trois fois les examens ... Même Grace, qui n'avait pas non plus été une excellente élève, n'avait jamais fait cela.
En tout cas, une chose était sûre, il ne fallait pas que ses parents apprissent la chose. Ils avaient suffisamment de problèmes comme cela. Son père s'épuisait à la tâche, et sa mère ... Bref, hors de question. Alban serait majeur dans quatre mois, il était temps qu'il se débrouillât par lui-même. Et surtout, il ne voulait pas infliger une déception pareille à sa famille. Son père ne se fâcherait même pas, et c'était cela le pire. Au contraire, il lui proposerait de l'aider, ajoutant encore du travail à ses journées surchargées, et pour Alban une telle chose était inenvisageable.
Il prit une profonde inspiration et ramassa la lettre. Sur la pointe des pieds, il monta jusqu'à sa chambre, espérant de tout son cœur que sa mère serait en train de dormir. Il pénétra dans sa chambre et ferma la porte avec le plus puissant sortilège de Cadenassage qu'il connaissait. Certes, il n'était pas majeur, mais il avait en ce moment bien d'autres préoccupations que les restrictions de l'usage de la magie chez les sorciers de premier cycle.
Il s'assit à son bureau et sortit un parchemin, une plume et de l'encre. Sa main tremblait légèrement lorsqu'il écrivit :
BREVET UNIVERSEL DE SORCELLERIE ELEMENTAIRE
ALBAN WALDO HADLEE A OBTENU ...
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Les Porte-à-faux
FanfictionLa lettre qu'ouvrit Henry Eldridge par un innocent matin de juillet semblable à mille autres, ne le prévenait décidément pas de ce qui allait suivre. Le vieux sorcier de cinquante-cinq ans, éleveur de chevaux magiques, rencontre Isabel, dix-sept ans...