La poussière

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Elas attrape Bana et la traîne derrière lui en allongeant les pas. 

Le château se dresse tout en haut. Depuis la place, on aperçoit seulement la tour principale et les créneaux de la cour intérieure, derrière les sapins. Pour s'y rendre, il faut quitter le village par la route jusqu'aux remparts. Celle-ci est pavée, contrairement aux chemins de terre serpentant entre les maisons. Bana trouve la marche sur ces carrés de pierre aux épaisseurs diverses moins aisée que sur de la bonne vieille terre. Les riches ont de ces lubies... 

Une fois la butte gravie, on arrive devant les grandes portes, dissimulées derrière le petit bois recouvrant le flanc. Le temps qui passe n'a pas l'air d'atteindre l'édifice où il fait constamment froid, à l'intérieur comme à l'extérieur, balayé de bourrasques capricieuses.

S'y rendre, c'est s'enfoncer dans les ténèbres, remettre son gilet sur les épaules. Déjà un souffle froid s'échappe de ses lèvres alors qu'elle pose à peine le premier pied sur la côte de pierre, le coude prisonnier du valet Elas. Adieu la chaleur de l'été,  la foule joyeuse, l'insouciance...

Alors qu'ils gravissent la pente raide menant au château, Bana entend la musique du bal s'étouffer peu à peu, s'amenuiser pour ne plus devenir qu'un lointain écho, et finir par s'éteindre, recouverte par les gémissements des sapins.

La lumière des lampions n'est plus, et seul les éclaire un rayon de lune par un ciel dégagé. Travaillé par l'angoisse, Elas n'arrête pas de se gratter le sourcil, qu'il a déjà fort mince. Il commence à courir, espérant entraîner Bana avec lui dans son empressement, mais celle-ci reste tranquillement à marcher à son rythme habituel. Exaspéré, il se retourne à intervalle régulier pour constater qu'elle est encore à la traîne.

Chaque seconde passée à monter vers le château au lieu d'y être dès à présent, rajoute son pesant de culpabilité à la torture d'Elas. Si Aurora restait cul-de-jatte par la faute de leur retard... et cette « magicienne » qui marche à l'allure d'un bœuf ! Il voudrait avoir le pouvoir de la gifler pour qu'enfin elle accélère le pas.

Ne peut-elle avoir miséricorde d'un pauvre valet de rien du tout qui va se faire fouetter pour sûr, quand les racontars du village arriveront jusqu'en haut de la butte, c'est à dire pas longtemps après eux ? A cette pensée, il entend le fouet s'abattre sur son dos, brûler sa peau, creuser la chair, coup après coup.

Il secoue la tête, pris de frissons, et pour combattre l'angoisse se lance dans une course effrénée jusqu'au large escalier tortueux menant au grand portail. Il s'arrête à bout de souffle devant les gardes médusés surveillant l'entrée. Le portail s'élève massif, haut comme deux hommes et renforcé de métal.

- Où est la magicienne ? s'enquit celui de droite.

- A ma suite. Elle ne se presse pas, siffle t-il, assassin.

Dix minutes plus tard, lorsque Bana arrive enfin à leur niveau, le portail est déjà ouvert et les gardes lui font signe avec leurs lances de passer entre eux.

En pénétrant enfin derrière les murs d'enceinte, elle reçoit en plein visage la puissance du maitre des lieux. Car il faut être puissant et riche pour posséder un foyer aussi imposant, constitué de multiples tourelles et bâtiments, dominant la forêt toute entière comme la campagne environnante. 

Bana n'a pas le temps d'admirer plus longtemps les pierres de l'édifice que des serviteurs et des bonnes l'empoignent et la dirigent avec émoi vers la chambre de leur maîtresse. Elle entre dans un premier bâtiment, galope le long d'un large couloir sombre, traverse un petit salon, une cour intérieure, s'engouffre sans hésiter menée par deux petites bonnes paniquées dans un escalier en colimaçon menant certainement au dortoir des domestiques.

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant