L'odeur de la cendre

Vous êtes Bana ?

Bana a convaincu Hero de laver les plats et les casseroles, pendant qu'elle reprise une de ses chemises. Elle ne sait pas pourquoi il s'adresse à elle pour ce service, car elle n'a jamais appris qu'à recoudre des plaies. Toute tâche ménagère était exclue de son apprentissage, sauf s'il s'agissait de nettoyer des blessures ou préparer des potions et onguents. 

Son maître ne lui demandait jamais de jouer à la femme d'intérieur, sous prétexte qu'elle était effectivement une femme. Elle soupire en regardant les coutures grossières qu'elle réalise sans adresse. Mais si Hero veut une chemise mal recousue, ça le regarde.

Depuis quelque temps, elle ne voit plus reparaître leurs apprentis, sauf pour les repas et encore, pas tous. Il faudrait qu'elle essaie de les retenir un peu. Oui demain, elle pourrait faire un gâteau. Un gâteau à la poire, sa spécialité. Ou un feuilleté aux marrons ?

On frappe à la porte.

Nonoh et Muggen ne frappent pas à la porte, ils se contentent de faire parvenir bruyamment leur arrivée prochaine. Bana repose son travail de couture en jetant un coup d'oeil inquiet à Hero. Lui, c'est désolant, il n'a jamais l'air préoccupé de quoi que ce soit. Sauf par son équerre en cuivre peut-être.

Elle ouvre la porte et fait un pas en arrière en tombant presque nez à nez avec ses deux visiteurs. Ce sont deux chevaliers de haute stature et qui, vu leur ressemblance, sont sans aucun doute apparentés. Ils doivent être fraichement émoulus, car leur équipement n'est ni usé, ni de grande prestance.

- Vous êtes Bana, n'est-ce pas ? demande l'un d'eux en la dévisageant.

- A vrai dire, on ne vous cherchait pas en particulier, continue l'autre.

- On nous a dit qu'il y a une jeune fille rousse ici, d'environ quatorze ans, avec des yeux dorés. Elle s'appelle Nonoh.

- Je l'ai envoyée chez les parents de mon autre apprenti, répond Bana.

- Ce n'est pas grave. Nous pouvons attendre encore.

- Et puis maintenant, nous avons trouvé quelqu'un d'encore plus intéressant, dit le plus grand des chevaliers en attrapant le poignet de Bana.

Hero apparait derrière elle, les mains encore mouillées de la vaisselle.

- Que se passe t-il ?

- Nous connaissons quelqu'un qui vous recherche depuis très longtemps, répond l'autre jumeau.

Bana blêmit. Elle se tourne vers le jeune homme blond.

- Occupe-toi d...

Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase car le chevalier lui tenant le poignet a profité de son inattention pour lui donner un coup de poing derrière la tête. Elle s'effondre, assommée, dans les bras de Hero. Celui-ci essaie de la tirer en arrière et de fermer la porte, mais les chevaliers envoient le cartomancien voler contre le mur d'un seul coup de pied.

Hero lâche Bana pour se débattre mais alors qu'il envoie des coups à gauche et à droite pour affronter les deux frères en même temps, lançant les chaises devant lui, poussant la table, faisant voler les casseroles, le plus grand sort l'épée de son fourreau et lui assène un coup sur la tempe du plat de sa lame.

Il s'écroule à côté de la cuisinière, tandis que le chevalier remet l'épée dans son écrin de peau. Il se baisse et charge Hero sur son épaule, comme un énorme sac de farine. Son frère se poste derrière lui pour soutenir les jambes du magicien évanoui, le front sanglant.

Bana est inerte mais consciente. Elle voudrait leur dire de le laisser, de n'emmener qu'elle, que c'est elle la seule fautive, mais sa bouche ne lui obéit plus. Ses bras sont étendus de chaque côté de son corps, comme déconnectés de la machine principale. C'est sans pouvoir rien faire ni dire, qu'elle est elle aussi soulevée de terre, portée jusqu'à un des chevaux et jetée en travers de la selle. Sa seule consolation, mais elle est grande, est que Nonoh et Muggen n'aient pas été là et soient comme d'habitude en train de farfouiller dans les bois. 

Finalement, malgré le passage des années, elle n'a pas pu leur échapper. Quelque part, elle est soulagée. Cette angoisse va enfin arriver à sa fin.