Elle est rousse, d'un roux qui se marie de façon assez incroyable avec sa peau mate. Ses cheveux sont bouclés, luisent de reflets dorés comme ses yeux, sortis d'un autre monde. Elle est très svelte, comme une sauterelle. Elle s'appelle Nonoh.
C'est un soir lourd d'été, de ceux où on a étouffé et cuit toute la journée avant que le soleil s'éteigne enfin. Nonoh voudrait que le soleil s'éteigne pour de bon, et tue tout, engloutisse toute sa souffrance et tous ceux qui la regardent, son père, sa mère, ses deux grands frères, ses deux abrutis de frères à la taille démesurée.
L'astre disparaitrait et alors ils crèveraient tous à petit feu, et elle avec. Et ce serait une fin magique. Elle se pince les bras en prenant un gros bout de chair pour bien se faire mal.
Son père est un riche commerçant. Il rentre souvent tard, dans leur maison opulente aux murs recouverts de tapisseries. Les tentures sont partout, sur le sol, les murs, le plafond, tendues au-dessus de l'escalier. Certains se sentent comme dans un nid garni de jolis tissus dans ces petites pièces basses de plafond, éclairées d'une douce lumière tamisée. Nonoh s'y sent étouffée, tous ces tapis tendus de partout sont comme des entraves, essayant de l'attraper, de la retenir, de la faire tomber si elle voulait s'échapper. Elle voudrait bien mais elle ne sait pas où aller. Elle en veut à la terre entière de l'obliger à penser en adulte, elle en veut aux adultes de ne pas s'occuper d'elle, de ne pas l'aider, de ne pas voir. Ils s'en fichent tous. Ils ne m'aiment pas. Personne ne m'aime. Et moi je me déteste.
Eclésin
Encore un soir, un soir harassant où je rentre tard, où je rejoins ma femme et mes enfants, qui dépensent tout ce que je trime. Je déteste cette vie mais je la poursuis, je ne sais pourquoi, pour abîmer un peu les autres du mal qu'on m'a fait à moi.
Quand je vois ces personnes joyeuses, innocentes, je sais que je ne peux pas partir comme ça, sans m'être vengé, en ayant été le seul à souffrir. Je les aime, je sais bien que le bonheur pourrait exister, peut-être, mais mon âme en est toute remplie, de la haine, de la haine à tuer. Et moi ? Qui me sauve moi ?
Nonoh est planquée dans un coin, elle croit que je ne la remarque pas, mélangée aux tapis brodés de dorure. Elle ne peut se confondre avec rien, jolie et brillante comme elle est. Je ne sais comment ma femme et moi avons pu produire cette enfant lumineuse avec des cheveux de feu et des yeux d'or liquide.
Quelque chose loin en moi sait bien que c'est mal, mais je jubile presque de la voir apeurée. Elle tremble de ce qui pourrait lui arriver, et de la voir en mon pouvoir, j'en perds la tête. Il est si facile de la dominer, elle est à moi cette petite chose. Moi, son père je l'ai produite dans le monde et j'ai tous les droits sur elle, je pourrais la battre, ou juste lui hurler dessus mais ce serait trop facile. Ah j'ai trop envie d'elle.
Je désigne du menton l'escalier, elle sait ce qu'elle doit faire. Elle fait l'insolente qui ne veut pas, ça me met hors de moi. Mes yeux doivent flamber car finalement elle se dépêche de monter l'escalier. Ma colère retombe un peu, j'hésite. Je ne devrais pas. Mais c'est trop tard, je suis déjà perdu pour Dieu. Si ma femme m'arrêtait... Je serais capable de la tuer elle aussi, pour qu'on me laisse tranquille.
Quand j'entre dans la chambre, elle est assise sur le lit, la tête baissée, les mains coincées entre les cuisses. J'adore lire le dégoût et l'effroi sur ce visage, je me sens rempli d'une envie immense de la posséder tout de suite, de lui montrer à qui elle doit le respect, qui elle doit craindre et obéir.
Sa peau est toute veloutée et toute douce, c'est encore une enfant délicieuse, toute fraîche, encore pure et délicate. Elle a toujours un mouvement de recul quand je m'approche d'elle et ce geste est toujours le déclic. Il faut que je me venge de ce mouvement de désobéissance, de cette volonté de s'enfuir. Ah tu vas voir !
Je l'attrape par les poignets et la plaque sur le lit. Ma femme ne m'a jamais reproché quoi que ce soit, elle a bien raison, trop contente de dépenser l'argent que je gagne. Elle ne rechigne pas autant pour m'ouvrir ses jambes, elle. Ce n'est pas aussi amusant qu'avec Nonoh. Elle c'est l'interdit. Interdit tu parles, elle est à moi, je peux la tuer si je le désire, qui aurait le droit de me dire quoi que ce soit ?
Nonoh est presque surprise de son geste. Comment a t-elle pu attraper ce tison? L'a t-elle fait? Elle reste dans le noir, dans le silence, quelques minutes. Le tison s'échappe de sa main, et rebondit sur le sol avec un tintement métallique.
Elle a donc vraiment attrapé le tison... Comment est-il arrivé là ? Un tison si proche de la table de chevet. Elle se retourne vers son père. Ce gros gras père voilà qu'elle s'inquiète ! Il n'est plus sur le lit. Son corps se met à trembler de la tête aux orteils alors qu'elle s'approche du bord.
Il est là, il a dû rouler par terre et il ne bouge pas. Alors Nonoh s'aperçoit que ses mains sont pleines de sang. Elle ne sait plus ce qu'il s'est passé, comme si son cerveau avait choisi d'en effacer les dix dernières minutes. C'est le trou noir.
Nonoh n'est déjà plus elle-même quand elle se relève, et descend mécaniquement au rez-de-chaussée. Elle regarde ses mains, puis sa robe où s'étale une large auréole de sang. Elle n'a pas pu faire ça, elle s'en souviendrait.
Complètement ailleurs, elle traverse le salon et franchit la porte d'entrée. La nuit s'est installée et chacun est rentré chez soi pour le dîner.
Sous ses pieds, le monde tremble.
Est-ce que c'est le jour du Jugement dernier ? Elle n'en sait rien mais laisse ses pieds l'y porter en embrassant sa destinée finale.
Le long de la rue marchande, elle ne croise personne, juste un chat qui passe à toutes pattes à côté d'elle, avec l'air de dédain qu'abordent tous les félins.
Un chat, je voudrais être un chat.

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L'odeur de la cendre
FantasyLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...