Une exécution au château

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Au matin, Muggen et Nonoh sont réveillés par les cloches, annonçant un événement au château. Ils se restaurent en vitesse des quelques vivres qu'ils ont emportés dans leur sac.

La grande porte est levée et les vilains de la bourgade sont invités au spectacle. Les poules, les canards, les lapins et les chèvres ont été rentrés dans leurs enclos pour éviter les vols. Des paysans sont déjà en train de grimper l'escalier pour entrer dans le château.

Les apprentis se faufilent parmi les autres villageois enfiévrés pour pénétrer l'enceinte. Devant la porte levée, des gardes leur annoncent gaiement qu'ils vont exécuter des magiciens aujourd'hui en les précipitant du haut de la tour, celle qui donne directement sur le bas de la falaise.

De nombreux badauds rigolards les rejoignent peu à peu ; certains d'entre eux ont même emmenés leurs enfants et préparé un casse-croûte pour assister à l'exécution.

- Nonoh, quand on sera dans la tour, je ne pourrais rien faire.

- Nous serons morts d'ici ce soir. Il ne reste plus qu'à prier Dieu.

Muggen prend la main de Nonoh et ils ferment les yeux, tournés vers la prière. Ils tombent au fond de leur conscience, là où se trouve la lumière et l'espoir sans bornes.

- Trêve de niaiseries !

La jeune fille lâche la main de Muggen et l'entraîne à travers la foule. Des soldats dressent un échafaudage au milieu de la cour, entourés de badauds se tapant du coude.

- Qu'est-ce que c'est ? demande le garçon.

- On dirait une estrade pour alpaguer les gens, comme au marché.

Elle s'approche d'un des paysans, un jeune adolescent grignotant son pain dur d'un air bêta, et lui demande de quelle tour on va jeter les magiciens.

- C'est cellà, celle qui donne sur la falaise ! Dommage qu'on peut pas voir de l'autre côté. J'a jamais vu ça moi, éclatés sur les pierres.

Elle le remercie, un sourire amer sur les lèvres. La tour est dressée dans le coin gauche de la cour, où déjà des gens sont assis en tailleur et attendent. Son complice met sa main en coupe au-dessus des yeux. Il aperçoit sur le toit plusieurs hommes en armure.

En bas devant eux, un homme d'une quarantaine d'années appuyé sur son épée garde l'entrée de la tour, il est sec et une longue cicatrice barre sa joue.

- Tu penses qu'ils sont déjà là-haut ? dit le garçon. Il a l'air coriace celui-là.

- Dans l'escalier peut-être.

- Ça en fait un paquet dis donc. Et ils rigolent pas.

- Trop tard pour avoir peur.

Muggen porte la main à la courte épée pendue à sa taille, sous sa veste. Le gardien de la porte suit ses faits et gestes, le visage méfiant.

- Va le voir et demande à passer, dit-il sans détacher ses yeux du garde.

Sa comparse passe une main dans ses cheveux flamboyants et se dirige vers leur cible d'un air décidé. Muggen les observe de loin échanger quelques mots. Le garde a la main sur son poignard et ses propos sont visiblement hargneux. Nonoh fait mine de lever les mains devant elle pour se défendre.

En une fraction de seconde, Muggen a disparu du champ visuel du garde. Ce dernier se retourne trop tard pour éviter le coup de coutelas qui lui transperce le cou.

Il tombe surpris et se gargarise dans son sang dans les bras de la jeune fille, qui l'assoit délicatement à côté de la porte. Ils ne prennent pas le temps de jeter un oeil en arrière vérifier si quelqu'un les a vus, avant de s'engouffrer dans la tour en refermant la porte derrière eux.

A l'intérieur, les murs sont d'une noirceur telle qu'ils semblent avoir été peints de charbon. Ils décrochent un flambeau près des premières marches. Muggen avance juste derrière Nonoh, prêt à les transporter au moindre accroc. Ils gravissent un étage sans rencontrer personne. Le garçon a juste l'occasion de remarquer de larges ouvertures dans lesquelles se terrer pendant les affrontements.

- Quelqu'un vient, murmure t-il.

- Je ne sais pas quoi faire.

- Il faut le brûler.

Les pas les rattrapent. Du tournant sortent deux chevaliers à moitié débarrassés de leurs armures. Seules restent les dagues que Nonoh les voit tirer de leurs fourreaux.

- Vas-y ! Nonoh !

Mais elle est paralysée. Rien ne lui vient à l'esprit, sinon de lever les mains pour se protéger. Son co-équipier lui touche le bras et les emporte au bas de l'escalier.

- Concentre-toi.

- Je n'y arrive pas ! Je suis paniquée, ça ne se voit pas ?

- On va y rester. Nonoh. Je ne peux rien faire ici.

- Ils arrivent, donne-moi le flambeau !

La flamme éclaire le visage du premier visiteur, qui n'est plus qu'à quelques marches d'eux. Son poing tient le poignard si serré que sa main semble en être le pommeau et ses yeux révulsés lancent des éclairs. Il pousse un hurlement sauvage et se lance en avant, la lame tendue vers Nonoh.

"Flambe-le foutre-Dieu !"

Elle prend une longue inspiration du plus profond de sa poitrine, et sent le feu du flambeau remonter le long de son bras (ou est-ce à l'intérieur de sa chair ?) et courir vers sa gorge.

L'espace d'une seconde, ils se retrouvent plongés dans le noir le plus opaque.

Le feu lui démangeant la gorge et la langue comme mille fourmis grouillantes, Nonoh recrache violemment une salve brillante avec l'impact d'un boulet de canon.

Ça fait "chrak !", comme un éclair qui s'échapperait d'elle en lui arrachant la peau. Leur adversaire est projeté à terre sous la force de l'attaque et son corps s'enflamme aussi fort qu'un flambeau imbibé d'huile au contact d'une allumette. Il se tord de douleur et se roule de tous côtés sous les yeux effarés de son compagnon d'armes, à deux pas derrière lui. Mais la peur fait vite place à la rage et ce dernier se lance vers eux pour les affronter.

L'esprit vide de toute pensée, son corps agissant sans qu'elle s'en rende compte ou semble le contrôler, Nonoh absorbe le feu de sa victime dans une main et en fait une boule tournoyante qu'elle propulse sur leur second assaillant. Il s'embrase à son tour et se jette contre les murs pour éteindre l'incendie.

Muggen prend la main de la jeune fille et les transporte de nouveau après le premier étage.

- Reste concentrée, on va faire vite !

Au troisième palier, ils croisent un soldat descendant vers eux, attiré par le tapage. Muggen fait s'envoler un flambeau qu'il tend à Nonoh. Elle aspire la flamme et la recrache au visage de l'homme, qui hurle et tombe dans les escaliers. Le garçon les amène quelques marches plus haut avant qu'il ne les heurte dans sa chute. Des tintements d'amure les stoppent net. Trois hommes arrivent, agglutinés l'un derrière l'autre, et l'épée brandie devant eux. Heureusement, des flambeaux sont dispersés toutes les quinze marches, et les jeunes adolescents leur réservent le même sort. 

Ils courent maintenant sur les étages restants. Portée comme dans un mauvais rêve, Nonoh a l'impression de voler, mais elle a aussi peur que surgisse un autre adversaire. Elle se bouche les oreilles pour ne plus entendre les hurlements des brûlés. Elle n'entend plus que son coeur qui bat à tout rompre.

- Ne pense pas ! lui dit Muggen en lui serrant le poing.

Jusqu'au dernier étage, il n'y a plus personne. A croire que ceux qui restaient ont fui par les chemins de ronde. La trappe menant aux remparts est grande ouverte.

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant