C'est la pleine lune. Un souffle agite les feuilles du chêne au-dessus de Bana, avant de s'infiltrer dans son cou par l'encolure de sa capeline, la faisant frissonner.
Elle se tient à la lisière de la forêt, et observe les fenêtres éteintes des premières maisons. A part une légère brise nocturne, on n'entend rien d'autre dans le village, pas même un chat en train de chasser.
Bana se baisse et ôte ses sabots qu'elle laisse entre les racines d'un arbre. Les pieds nus mais coriaces, elle déambule le long des chemins déserts qui quadrillent le village, l'oreille tendue. Soudain, un râle aigrelet brise la quiétude de la nuit, en provenance de la bâtisse sur sa droite.
La maison est imposante, probablement habitée par le paysan le plus aisé du coin. La magicienne patiente d'abord quelques minutes pour voir si elle perçoit un autre signe d'activité humaine. Elle pousse la porte d'entrée et s'introduit à pas de loups dans la masure.
Couché près des cendres chaudes de l'âtre au milieu de la pièce où il a installé son lit, le propriétaire de la maison, un vieil homme d'une cinquantaine d'années, est regroupé sur lui-même, tremblotant. Bana s'approche de son chevet, et pose une paume délicate sur son front brûlant.
La respiration endolorie du paysan s'apaise peu à peu, et son corps se détend. Une de ses mains se décontracte et s'échappe de contre son torse. Satisfaite, Bana se détourne du paysan et tire le rideau de la seule petite lucarne du lieu. Grâce à la faible lumière s'échappant de l'ouverture, elle distingue des coffres ouvragés et une grande armoire en noyer, ainsi que de lourds jambons suspendus au plafond.
De retour près de sa maison au bord du marécage, un jambon sur l'épaule, elle est intriguée par une faible lueur s'échappant de la fenêtre. En poussant la porte, elle découvre Muggen assis sur une chaise près du foyer et l'amulette serrée dans son poing. Il relève la tête en l'entendant rentrer.
- Ah, tu es de retour !
Il n'est même pas curieux de connaître son escapade ou la raison pour laquelle elle se retrouve avec un énorme jambon sur l'épaule.
Elle s'inquiète de le voir réveillé au milieu de la nuit. Est-ce l'amulette qui ne fonctionne plus?
- J'aimerais, si tu le veux bien, repartir chez moi demain, dit-il de but en blanc.
Bana, prise de court, dépose d'abord doucement le jambon sur le plan de travail. Elle se tourne vers lui, mains sur les hanches. Elle prend une grande inspiration.
- C'est normal, ils doivent te manquer. Cependant, on arrive aux premières neiges. Penses-tu qu'il soit bien prudent de se lancer dans un aussi long voyage maintenant?
- Tu as tout à fait raison. C'est pour cela qu'il faut que je parte demain.
- Oui, tu es avec moi depuis un long moment déjà. Mais j'avais prévu demain de t'enseigner une potion parfaite pour nettoyer et cicatriser les plaies purulentes, et ce savoir pourrait t'être vraiment utile, et être utile à ta famille, tu ne trouves pas?
Muggen semble réfléchir à la proposition. Il savait qu'il rencontrerait quelques obstacles. Il se gratte le front.
- Je pourrais alors partir dans deux jours.
- Si tu dois repartir si tôt, j'essaierai de te montrer plusieurs potions de médecine demain. Mais dis-moi, tu n'es pas content de tout ce que je t'ai appris ? demande t-elle d'un air triste, avant de secouer la tête et de balayer ses paroles d'un geste de la main. Non, ne me réponds pas, il est tard et un petit garçon comme toi devrait vite aller se remettre au lit! Allez, au trot!
A contrecœur, Muggen se relève et retourne se coucher.
Bana le suit du regard, mais elle-même s'attarde dans la cuisine pour se plonger dans ses pensées. Ce n'est pas un beau jambon qui peut suffire à le garder auprès d'elle.
Muggen
De retour dans mon lit, un pressentiment me frappa.
Bana ne me laisserait jamais repartir. Elle trouverait toujours une excuse ou un nouveau savoir à acquérir, pour me faire rester un jour de plus, et même faire durer mon séjour aussi longtemps qu'elle le pourrait.
Dans quelques heures, le soleil serait levé. Je n'avais qu'un petit paquet de vêtements à rassembler et le bâton de pêche fabriqué avec Bana. A l'aube, je pourrai déjà être sorti de la forêt pour rentrer chez moi, si seulement je parvenais à me rappeler du chemin. Je pourrais même en profiter pour faire la cueillette des champignons, ce serait une bonne surprise pour mes parents.
Oui, je pourrai tout à fait retrouver le chemin. Rien ne me retenait de m'en aller.
Quelques instants après, je me faufilai par la fenêtre ouverte du rez-de-chaussée, mon baluchon à l'épaule.
VOUS LISEZ
L'odeur de la cendre
FantasíaLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...
