Le départ

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Depuis le début de l'hiver, Muggen est apprenti chez le charpentier. Ses mains sont couvertes de cals et de croûtes. Il comprend ce qu'on veut bien lui laisser entendre, sur les essences, les noeuds et les teintes. On ne le charge que de scier, pour les mortaises ou les tenons, ou de porter le bois jusqu'à l'établi. Même avec les cordes, son dos le tance toutes les nuits après.

Pour les finitions ou l'équarrissage, il se met en retrait et regarde le maitre et son compagnon à l'oeuvre. Le compagnon lui a dit qu'on ne lui donnera pas de tache moins ingrate avant deux ans. Muggen en regrette le temps où il était l'apprenti de Bana.

Elle a renoncé à le former à la magie et lui a promis qu'il pourrait rentrer voir ses parents au printemps, et que s'ils ne voulaient pas de lui, il pourrait revenir chez le charpentier continuer sa formation.

Il endure le travail pénible en silence, il sait bien que c'est utile, et que ses parents seront heureux de voir qu'il sait faire quelque chose de ses dix doigts.

Il ne l'a dit à personne mais depuis qu'il possède son amulette, il s'est rendu compte qu'il contrôlait mieux sa magie. L'autre jour, son dos le brûlait, il a fait léviter le bois. Ça ne se voyait pas de l'extérieur, mais il ne sentait plus aucun poids tiré par la corde.

Un soir du début de l'année, ça doit faire deux mois qu'il est apprenti chez le charpentier, Muggen est réveillé par un vif échange au rez-de-chaussée.

Il dort sous les toits de la maison de son maître, sur une paillasse, et ne rentre que le dimanche chez Bana. Il se faufile en haut de l'escalier et jette un coup d'oeil en contrebas.

Hero est revenu et discute avec son maître.

Le grand blond l'aperçoit en haut des marches et lui fait signe de les rejoindre. Sacredieu, Muggen ne voulait pas se faire repérer. Hero lui dit de se dépêcher, qu'ils n'ont pas de temps à gamberger. Il y a quelque chose dans l'air.

Qu'est-ce qu'il se passe ?

Le charpentier, un homme honnête avec de grands mains qui font le double de sa tête, lui tend un encas, des pommes et du pain emballés dans un tissu.
- Si le travail ne te fait pas peur, reviens et je te rendrai ta place, petit.

Dans la forêt, en chemin vers la maison de Bana, Muggen demande où se trouve la magicienne.

- Elle est partie collecter ses affaires.

- C'est à cause de Nonoh ?

- Nonoh ?

- Une fille que Bana a trouvée dans la forêt. C'est sa petite protégée.

Il essaie de ne pas montrer la pointe de jalousie qu'il ressent envers elle.

- Elle ne m'a rien dit.

- Je suis étonné qu'elle ait eu envie de vous parler.

Il n'a pas osé prendre un ton trop agressif, car Hero lui fait toujours un peu peur, mais la remarque suffit à le faire grogner.

Hero marche un moment un silence, mais il ne reste jamais longtemps fâché. Il demande à Muggen ce qu'il a appris chez le menuisier. Le garçon hausse l'épaule, ça ne va pas l'intéresser. Il n'en est qu'aux débuts, il ne fait pas grand-chose.

Lorsqu'ils arrivent devant la maison de Bana, Nonoh est sur le seuil, mais elle court se réfugier à l'intérieur en les voyant arriver.

Hero demande ce qu'elle a, et Muggen hausse à nouveau l'épaule.

- Il vaut mieux la laisser aller.

A l'intérieur, Bana a recouvert le plancher de ses bocaux, elle a doublé de volume et elle ne sait pas quoi emporter. Elle passe les bocaux les uns après les autres sous son nez et les repose d'un côté ou de l'autre, suivant leur utilité.

Hero s'approche d'elle et pose la main sur son épaule grassouillette.

- Je ne veux pas quitter ma maison, dit-elle d'une voix larmoyante.

Il la regarde un moment, l'air de voir au travers.

- Je peux garder la maison en ton absence, pour être sûr qu'il ne lui arrive rien.

Elle le fixe pendant un moment suspendu, prise en plein dilemme. Nonoh est derrière elle contre le mur et elle n'ose pas bouger.

- N'aie pas d'inquiétude, ils ne me feront pas de mal, je te le promets. Personne ne le peut.

Il y a quelque chose dans sa façon de le dire. Bana le trouve peut-être trop confiant, il pense vraiment être intouchable. Mais après tout, il lui doit bien ça.


Elle harnache le cheval, en mettant dans les sacoches un peu tout dans le désordre. Elle a décidé finalement de ne prendre que très peu de bocaux, car rien n'est irremplaçable. Hero la regarde s'affairer depuis le seuil, et Muggen baisse les yeux au sol en transportant un kilo de pommes depuis la maison.

Ils partent à pied, le percheron de Hero chargé de vivres pour le trajet. Où ils vont, ils ne savent pas, à part qu'ils doivent éviter la grand-route.

Seule Bana ose se retourner et jeter un dernier regard au jeune homme blond qu'ils laissent derrière eux, avec la troupe du roi qui arrive.

- Muggen ! crie Hero. Je te ferai signe quand il seront passés !

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant