Bana ouvre les yeux dans le noir. Au bout de quelques secondes, l'obscurité lui démange le nez et les joues, car elle semble faite de poils drus. Elle entend le clapa-clop des sabots et reconnaît l'odeur forte de l'animal, qui la fait tressauter sur son dos. Sa nuque lui fait affreusement mal mais avec un peu de concentration, elle éteint la douleur. Ses mains sont attachées dans le dos, autrement elle pourrait endormir le cheval, et peut-être le chevalier, si elle a de la chance. Mais l'autre trouverait bien le moyen de l'assommer à nouveau. Au moins, elle sera difficile à tuer. C'est plutôt Hero qui l'inquiète.
En pivotant son visage contre la robe sombre du cheval, elle le voit, secoué par les aspérités du chemin et évanoui. Une mauvaise coupure sur son front laisse échapper une goutte de temps à autre, mais plus elle la regarde, plus elle semble se résorber.
La jeune femme ne sait pas si elle croit voir la blessure cicatriser à force de trop la fixer ou si son pouvoir de guérison s'est amélioré au point qu'il puisse agir à distance.
En tous les cas, elle espère que leurs apprentis n'auront pas l'idée de les suivre pour les secourir. Ils se débrouilleront bien tout seuls, et si cela devait mal se passer... Ce ne serait que la récolte d'une graine semée six ans plus tôt.
Elle referme les yeux et tente de se reposer malgré les cahots.
A la nuit tombée, Bana est réveillée par le changement d'allure de l'animal. Il ralentit car il a certainement atteint sa destination. La tête collée au flanc du cheval, elle entraperçoit le pied d'un château bien connu. Elle n'en voit que les pierres, la végétation et le bas de la grande porte mais tout est resté familier.
Deux paires de chaussures métalliques apparaissent dans son champ visuel. Les pieds en armure échangent quelques amabilités avec les bottes de leurs chevaliers.
- Tu devrais sonner la cloche, le seigneur sera content de venir en personne pour ces deux-là.
Bana ferme étroitement les paupières.
- Ces deux sacs de farine ?
Elle sent quelqu'un frapper le flanc du cheval.
- Tu reconnais, Bana ?
La cloche retentit et lui vrille les oreilles. Elle sent qu'on détache les cordes l'attachant à la selle. On la pousse et elle glisse de sa monture avec lourdeur, atterrissant sans autre son que le bruit mat de sa chute, les mains toujours liées dans le dos.
- On essaie toujours de faire semblant de dormir ? Oger, descends l'autre aussi.
La magicienne se redresse sur son séant, fixant de ses yeux noirs les deux chevaliers. Les mécanismes s'enclenchent ; dans un retentissement de métal et de poulies, elle observe la lourde porte se hisser lentement, derrière laquelle émergent peu à peu deux grosses chevilles enserrées dans de riches souliers à boucle d'argent.
La silhouette d'un homme gras, suivi de ses gens, se dévoile sans que Bana puisse l'identifier. Vêtu d'une tunique en soie recouverte d'écailles de tatou, il baisse la tête pour passer sous la porte principale qui n'est pas encore entièrement relevée.
- Qui est-ce ? demande t-il en désignant Bana et Hero, encore sur le cheval.
- La magicienne, monseigneur bailli, que notre maître attendait depuis belle lurette. L'autre est son compagnon.
- C'est une excellente nouvelle ! Le comte est en visite chez le baron de Meufort et il ne rentre que demain. En attendant, nous allons les descendre au cachot. C'est la Maribel qui va être contente d'avoir de la visite !
Le bailli jette un regard empli de mépris sur la belle brune, qui crache à ses pieds.
- Enfant de catin. Tu seras, j'en suis sûr, ravie de revoir ta mère.
VOUS LISEZ
L'odeur de la cendre
FantasyLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...
