-- Il faut que je me confesse.
- Le prêtre n'est pas là, murmure Bana, la mine sombre.
- Je veux te le dire à toi. J'ai aimé une femme il y a une centaine d'années. Elle était magicienne comme toi, et un jour elle m'a proposé de me rendre immortel. J'ai accepté, mais elle n'ayant pas bu la potion, elle a continué de vieillir. Nous avons eu deux enfants. C'est elle qui m'a fait ce tatouage, un Soleil et une Lune croisés en signe d'éternité, et mes enfants portaient le même. Quand elle est devenue bien plus âgée que moi, je l'ai abandonnée lâchement. Je n'ai pas regardé en arrière, je ne pensais qu'à profiter de ce qu'il y a à voir et vivre en ce monde. Mais je n'aurais jamais dû faire cela. Je le regrette amèrement.
Il reprend son souffle. La jeune femme le fixe, la bouche ouverte. Elle cherche ses mots.
- Je voulais le dire à quelqu'un avant de brûler avec toi, dit-il.
Au milieu de la cour, on avait fait monter les magiciens au piloris pour les laisser aux moqueries de la foule. Les vilains de passage auraient pu leur jeter toutes sortes de fruits pourris et d'autres choses dégoûtantes, vider leur sac d'insultes, tirer sur la robe de Bana mais alors qu'on avait à peine commencé à lui coincer la tête et les mains dans le carcan, un grondement s'était fait entendre.
Hero, les gens du château et les visiteurs lèvent la tête vers l'origine du tumulte. La tour tremble de bas en haut, prête à s'ébouler. Tout en haut, il distingue Muggen mais son visage disparait de son champ de vision. Et cette chevelure rousse là-bas ? Nonoh doit être avec lui. Une pierre du dernier étage de la tour se décroche quelques instants plus tard et soulève un nuage de poussière en même temps qu'un retentissant "schrak".
Après, même les bâtiments alentour commencent à chanceler.
La foule s'alarme rapidement en sentant le toit prêt à leur tomber sur la tête, et les curieux venus pour l'exécution sont les premiers à fuir, accompagnés des animaux de la basse-cour, en poussant les haut-cris, certains les bras croisés au-dessus de leur tête.
Muggen va retenir l'éboulement de la tour et du château. A moins qu'il ne soit justement la raison de cet éboulement soudain.
Comme leur escorte garde les yeux rivés vers la tour, Hero en profite pour libérer Bana de son carcan, et elle se tourne aussitôt vers la source de toutes les inquiétudes.
Il serre la magicienne contre lui. Les pierres continuent à se détacher, l'une après l'autre. Puis les pierres des autres bâtiments se déchaussent elles aussi.
Leur garde les abandonne complètement pour faire traverser la foule à leur maîtresse et ses deux petites filles, que Belle porte dans ses bras. Ils sont suivis dans une cohue sans nom par les servants, les cuisiniers, les marmitons, les femmes de chambres, les valets, les palefreniers, les galopins, pages et écuyers, le forgeron et le prêtre et tous les gens du château dans leur course angoissée. Courant dans tous les sens, les bras chargés de n'importe quoi. Hero voit le bailli, immobile au milieu de la nuée, plaquer les mains sur son visage et se signer, avant de faire volte-face et passer la grand-porte avec les autres.
Quand la tour est presque détruite, et avec eux Nonoh et Muggen, il ne reste plus qu'eux deux au milieu de la cour, pitoyables sur leur pitoyable estrade.
Hero se demande comment il va dire à Bana qu'il a vu leurs apprentis sur le toit de la tour. La magicienne pointe du doigt une boule de feu courant vers le sol à travers l'éboulis de pierres.
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L'odeur de la cendre
FantasyLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...