Muggen, fils de Mhuggen

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Mhuggen

J'étais si empâté de sommeil qu'il fallut longtemps avant que les soubresauts ne me réveillent. La maison tremblait de partout, elle gigotait comme une gelée toute fraîche. Je sortais des rêves pour rencontrer un cauchemar éveillé. Lorsque je jetai un regard embrumé sur les cendres, je les vis voleter sous l'effet des secousses. J'eus le sentiment que la maison tentait de s'extraire du sol et convoquait toutes ses forces à cette fin. On n'y voyait goutte, avec seulement un rayon de lune par l'ouverture du toit pour nous éclairer. Notre lit effectuait des petits bonds, sautillant dans un bruit d'enfer sur le plancher. Je me tournai vers ma femme, aussi paniquée que moi. Et immédiatement les enfants. Mon épouse courut vers le berceau du bébé qui pendait au plafond, tandis que je me dépêchai, rebondissant contre les murs, vers l'étage où dormaient nos deux fils. Je me sentais renvoyé d'un mur à celui d'en face comme une balle envoyée d'un joueur à l'autre. Lorsque j'arrivai enfin dans la chambre des deux petits, je me demandai comment ils pouvaient bien continuer à dormir. Les secousses avaient atteint un tel niveau que je devais pincer les lèvres pour empêcher mes dents de claquer. Je tombais presque sur la couche de paille de mon fils aîné, et en laissant lourdement tomber mon bras sur lui, il se réveilla. Les secousses s'arrêtèrent pour se transformer en simples vibrations et au bout de quelques secondes, disparurent complètement. Et pendant ce temps, mon fils se frottait les yeux.


L'aventurier blond reprend tranquillement la route, son nouvel écuyer installé de travers sur la selle derrière lui. Il a les yeux cernés et rougis d'avoir pleuré. Triste à dire, mais ce n'était pas une grande affaire pour Hero que de décharger ses parents de leur fils instable, en échange d'une promesse de le former à devenir un grand magicien. Le fils de Mhuggen, lui, n'est pas de cet avis. Il ne veut pas croire que ses parents aient cédé si facilement. Ils devaient être sous le coup de la frayeur.

- Quand est-ce que je peux retourner chez moi ?

- Quand tu seras un magicien accompli. Si tu travailles fort et que tu manges ton content, tu pourras peut-être y arriver avant d'atteindre l'âge d'homme.

Muggen se tait. Il n'a que sept ans, et l'âge d'homme pour lui, c'est le temps d'une vie. Ses parents ne se souviendront même plus de leur petit garçon, et encore moins son frère et sa soeur. Peut-être que sa famille pourrait changer d'avis, s'il revenait les voir...

- D'ailleurs, je vais te montrer quelque chose tout de suite, dit Hero en arrêtant sa monture. 

Il dirige son percheron vers un buisson de chardons et le laisse y plonger le museau tranquillement. Muggen se frotte les yeux, il ne serait pas contre un petit somme. Hero tend les bras vers lui et l'aide à sauter de selle. Il défait une sacoche de sa ceinture, de laquelle il extrait une dizaine de petits sachets en tissu.

Muggen regarde autour de lui. Rien qu'une route sèche et des sapins secs eux aussi, nulle part où se cacher, et pas de maisons, ni d'autres voyageurs à l'horizon. C'est bien sa veine.

- Tu as de la chance fils de Mhuggen, il se trouve que je suis un fin herboriste.

Hero pose les sachets sur une pierre plate, les ouvre tous et les passe l'un après l'autre sous son nez.

- Ah c'est celui-ci, dit-il en affichant une moue renfrognée. C'est de la racine d'iboga, on la reconnait à l'odeur de bouc mort. Tiens, goûte-moi ça.

- Je ne peux pas juste la sentir ?

- Non car c'est cette poudre de racine qui va t'empêcher de dormir. C'est une rareté. L'iboga est fort utile pour les voyageurs comme moi qui ne peuvent se permettre un arrêt nocturne. Bon allez, montre-moi que tu n'es pas un pleutre, prends donc.

Muggen détourne d'abord le visage, puis se pince le nez et tire la langue, que Hero lui badigeonne de poudre noire. Il referme la bouche et déglutit avec difficulté.

- C'est... bahhh ! C'est ignoble.

Hero sort une pomme d'une des besaces accrochées à la selle et lui donne. "Pour faire passer le goût et adoucir ton haleine". Les jambes flageolantes, Muggen bâille à s'en décrocher la mâchoire. Il croque dans la pomme avec une attaque faiblarde.

- Tu sais comment on va trouver ton maître magicien ? demande Hero en espérant intéresser Muggen et le tirer de sa torpeur.

- Non.

Muggen pousse un long soupir et mâchonne sa pomme. Hero secoue la tête. De son temps, les enfants se prenaient une bonne rouste s'ils empruntaient cette attitude impertinente. 

- La magie attire la magie, reprend t-il d'un ton sec en le faisant remonter en selle. Tu sauras quand nous serons proches et alors tu me le diras.

Muggen serre les lèvres, convaincu qu'il ne dira rien du tout, car il espère que Hero le ramènera chez ses parents, s'il ne trouve pas de maître magicien. Mais il pourrait aussi le battre. C'est plus probable.

Hero monte devant lui et se retourne pour lui adresser un sourire sibyllin.

- Tu me le diras n'est-ce pas ? insiste t-il, comme s'il lisait dans ses pensées.


L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant