Les grains de terre volent. Hero assène un nouveau coup de bêche dans la terre meuble. Avec l'effort, une goutte de sueur coule sur son front, qu'il essuie du plat de sa main avant d'enlever son manteau de lapin pour être plus au frais.
Le terrain qui l'entoure est si vaste qu'il n'en voit pas la fin et parcouru d'arbres ombrageux et de bancs en pierre. Derrière lui, le couvent se dresse telle une forteresse.
Une bonne soeur apparaît derrière lui dans le jardin du couvent et le regarde mettre en terre une plante tortueuse bardée d'épines.
- Et quelles sont donc ses jolies propriétés ?
Hero sursaute et laisse tomber son outil.
- Oh soeur Terouz ! Vous m'avez fait peur, dites-moi !
- Mille pardons, minaude t-elle en s'empressant de ramasser la bêche et la rendre à son propriétaire. C'est une plante de sorcière ?
Le jeune homme la reluque discrètement. La jolie soeur Terouz au teint de rose a prononcé ses voeux depuis à peine deux ans, et il sait d'expérience que c'est la période idéale pour dévoyer les personnes saintes. Elle commence à s'ennuyer et se poser des questions. Et lui se propose à point nommé au couvent pour compléter leur potager d'herbes médicinales.
- Non, de guérisseur. La Malisse calme les brûlures ainsi que les douleurs d'estomac. Je l'utilise assez souvent moi-même.
- Elle calme tous les feux en somme, dit-elle avec un sourire enjôleur.
Elle se passe la main dans le cou et fait le tour du nouveau potager de Hero, composé d'une dizaines de végétaux, tous plus biscornus les uns que les autres. Deux religieuses passent derrière eux, parcourant avec indolence un petit chemin abrité recouvert par la vigne.
Elles jettent un oeil courroucé à Terouz mais continuent leur promenade.- Quand j'étais petite fille, il y avait une sorcière non de loin de ma maison, et je suis certaine d'avoir vu dans son jardin cette plante que vous appelez Malisse.
- Et bien, nombre de bonnes gens la cultivent. Peut-être que cette sorcière souffrait de maux d'estomac ?
- Je croyais que les sorcières fabriquaient des potions dans ce but ? Soigner je veux dire.
- Oh non croyez-moi, ce ne sont que des charlatans qui se cachent derrière leur grimoire.
- Je ne crois pas aux grimoires, répond t-elle en penchant la tête de côté.
Hero hausse les épaules et se baisse pour tasser la terre autour de sa nouvelle bouture. Il vaut mieux ne pas montrer tout de suite aux novices un trop grand intérêt. Cependant, Terouz n'a pas l'air décidée à écourter la conversation.
- Rien que ce matin, nous avons encore brûlé huit grimoires, avec des incantations pour tuer son père et ressusciter sa mère.
- C'est une façon de parler, j'imagine ! Vous savez, ça n'a réellement aucun effet, ça ne sert que pour le folklore.
- Vous monsieur, vous connaissez de vrais magiciens ?
- Il y a bien longtemps...
La mère supérieure fait irruption en haut de l'escalier de pierre qui domine la propriété des sœurs. Elle n'a pas encore quarante ans, mais son aspect sévère et rigide donne l'impression d'une vieille femme bigote.
- Je vois qu'on importune notre jardinier bénévole ! leur crie t-elle depuis son perchoir.
- Non pas ma soeur ! intervient Hero. Nous devisions du mathématicien Béthard que j'ai pu rencontrer à la grand foire de Tonon.
- Et de sorcellerie ! ajoute Terouz d'une voix guillerette.
- Ce ne sont pas des sujets pour des jeunes filles et encore moins des jeunes novices, réplique la supérieure d'un ton acerbe.
Elle darde Hero d'un oeil d'aigle lourd de réprimandes et reste plantée là à les surveiller.
- Parlant de magie, vous avez entendu le bruit en ville ? reprend la jeune soeur Terouz comme si de rien n'était.
- Lequel ?
- Des chevaliers du roi viennent d'arriver de la capitale, ils sont à la recherche d'une magicienne.
- Quelle magicienne ?
- Vous n'avez pas suivi l'histoire ? Il parait qu'il existe une magicienne dotée du pouvoir de guérison. Forcément le roi est très intéressé, à cause de son fils.
- Ils savent où la trouver ? demande Hero d'un ton faussement détaché.
- Dans un village de la région, mais ils ne doivent pas savoir précisément où, sinon ils ne seraient pas là à poser des questions partout. De toute façon, le roi fait erreur, il ferait mieux de se tourner vers Dieu.
La mère supérieure, du haut de son poste de garde, tourne enfin les talons. La jeune Terouz la regarde disparaître avant de se pencher vers le jardinier improvisé.
- Est-ce que vous aimeriez voir un bûcher de livres ? murmure la malicieuse.
- Ma soeur, vous ne cesserez de m'étonner.
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L'odeur de la cendre
FantasyLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...