On frappe à la porte

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Hero tire encore les cartes sur la table. Elles lui disent toujours la même chose. Avec son équerre, il s'est peut-être trompé de lieu, de temps aussi, mais au moins elles lui annoncent toujours la naissance d'un dieu.

La porte tremble à nouveau sous les coups. La compagnie n'a pas pris moins d'une journée à arriver, mais pour le moment, il préfère les laisser mariner encore une minute.

Hero avale une gorgée de vin au miel avant de se lever. Il ouvre le battant d'un grand geste sec, et le poing d'un chevalier retombe dans le vide.

Ce dernier n'est pas en tenue complète, il est seulement vêtu d'un gambison et de chausses en cuir, et porte deux coutelas à la ceinture. Il est long et fin comme un serpent. Deux autres hommes se trouvent derrière lui, des vieux de cinquante ans en fin de carrière, avec le ventre qui prend l'aise. Sur leur ceinturon est gravé un emblème, mais Hero ne reconnaît pas celui du roi. Qui sont-ils ?

- Nous cherchons la magicienne, dit le premier du groupe.

- Laquelle ?

- Nous prends pas pour des simples ! Celle qui habite en cette maison !

- Je suis pourtant seul ici, vous pouvez vérifier si ça vous chante. Entrez donc.

Le nouvel arrivant lève sa mitaine métallique à quelques centimètres du visage de Hero.

- Où est-elle ? rugit-il encore.

- Votre emblème n'est pas celui du roi. Qui est votre seigneur ?

- La magicienne le connait, à cause que sa fille est cul de jatte, marmotte t-il.

Le chevalier lui assène son poing dans l'estomac, et s'engouffre avec son cortège dans la maison. Hero tombe assis en se tenant le ventre, le souffle coupé. Il ferme les yeux un instant, la tête lui tourne.

Les guerriers du comte, c'est donc cela. Si la garde avait été celle du roi, ils auraient été habillés en armure complète et se seraient montrés plus courtois. Alors il leur aurait indiqué une mauvaise direction, en feignant l'honneur de les recevoir.

L'autre fait un petit signe de la main. Ses vieux compagnons investissent les lieux, le premier se rend à l'étage et le deuxième fouille le rez-de-chaussée, en jetant tout sur son passage. Et Bana qui voulait que sa maison reste en état.

- Si elle n'est pas ici, par où elle est allée ? beugle l'intrus pour couvrir le bruit du verre et du bois cassé.

- Sûrement partie pour les bras de la fille de ton maitre. J'ai cru comprendre que le travail n'était pas encore terminé.

- Tu es un malin toi. Tu sais, je te connais pas. Et si je te connais pas, c'est que t'es négligeable, finit-il en attrapant Hero par la gorge, son regard d'acier verrouillé sur les yeux bleus de Hero. Tâche de ne pas me chauffer davantage. Si on la retrouve par tes conseils, je te promets d'être plus clément. Sinon, je peux commencer par lui couper les pieds avant de la remettre à mon seigneur.

- Je suis certain que tu les couperas quoi qu'il arrive. On voit à ta trogne que tu es sacrément déviant.

Le sourire du chevalier se transforme en grimace. Il maintient sa prise sur son cou et le soulève de terre. Hero ne s'était pas rendu compte qu'il avait affaire à un colosse. Ce dernier l'envoie s'écraser contre le mur du fond de la pièce, avec au moins quelques côtes brisées. Il faut qu'il gagne du temps, la cohorte royale ne doit pas être bien loin.

Malgré les brûlures, son torse qui le pique de mille aiguilles, et son souffle qui se fait hésitant, il parvient à articuler :

- Pourquoi... ton seigneur... poursuit encore... Bana ? Après toutes... ces années ?

- C'est que la mort de son fils l'a fait enrager, m'est avis.

Il crache par terre et sans plus de détails :

- Les gars, qu'est-ce qu'on lui coupe ?

L'autre qui était au rez-de-chaussée les rejoint. Il regarde Hero d'un air mauvais, et lui assène un coup de botte dans les reins, pour la forme.

- J'aime pas trop couper moi, on s'en met plein les mains, et c'est beaucoup d'efforts. Alors qu'un bon coup dans le bide, ça défoule.

Le plus jeune, le meneur de troupe, se gratte le menton et envoie son pied dans la tête de Hero. Ce dernier s'effondre en se prenant le crâne entre les mains. Les affreux n'ont pas fini de lui faire passer un sale moment.

- Tu as raison, ça fait du bien ! dit en riant l'affreux en chef. Alech !

Alech descend l'escalier, les bras ballants. Il dit qu'il n'a rien trouvé et que ce n'est pas faute d'avoir retourné tout ce qui pouvait être retourné.

- Un dernier mot avant qu'on se donne à la fête ? demande le meneur.

Hero ne dit mot, il vaut mieux économiser son souffle maintenant. Il espère seulement qu'on ne lui coupera rien.

- Tu étais plus plaisantin tout à l'heure.

Alech s'avance et lui donne un premier coup de pied dans le genou, puis dans l'autre. La douleur est si lancinante que Hero ne sent que le premier choc. Le bruit d'os qui se disloque et craque est insupportable à entendre. L'un des trois est parti chercher un bâton dans le bois, qu'il fait danser sur les épaules de Hero, et puis sur ses genoux, car il y a encore des os à moudre encore, et ça les excite.

Quand Hero n'est plus qu'une grande carcasse brisée en miettes avec une hémorragie interne bien installée, l'accolyte d'Alech balance la branche dans la pièce.

- La troupe du roi va avoir une sacrée surprise, dit le cavalier en se massant les poignets.


L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant