Quand Bana et Hero reviennent le lendemain matin, la rosée est glacée sur les hautes herbes. Une légère brume et un filet de givre recouvrent la surface immobile du marécage. On entend un souffle impérieux entre les arbres, un mugissement repoussant les promeneurs.
Dans la maison, les enfants ont descendu la soupière de son crochet et s'activent à allumer un feu, l'un soufflant et l'autre cassant des brindilles. Sur les genoux de Nonoh repose un lapin dépecé que Muggen a attrapé dans la forêt.
En poussant la porte, les yeux de Bana sont immédiatement attirés par les traces de sang sur le tablier de la fillette et ses mains souillées jusque sous les ongles. Hero lance un regard entendu à la magicienne. Elle s'inquiète de voir que Nonoh semble se complaire dans cet état de souillure, mais se lèche les babines à l'idée de croquer dans la chair tendre du petit animal.
Malgré leurs visages fatigués, les benjamins n'ont pas l'air de s'être fait beaucoup de souci quant à leurs retrouvailles. Bana ressent un minuscule pincement au coeur qui part bien vite dans son entrain à compléter le repas par un pot de girolles séchées qu'elle vide dans la soupière, rapidement rejointes par les dernières pommes de terre de sa réserve. Hero s'assoit en face des enfants et frotte le lapin avec des herbes et des feuilles qu'il extirpe de sa besace.
- C'est notre dernier repas ? Dois-je ajouter mes épices secrètes ? demande t-il.
- Et bien, je pensais en effet que ce serait notre dernier beau dîner avant de quitter la maison.
- Quitter la maison ? dit Muggen.
- Mon adresse est connue désormais, ce ne serait pas prudent de rester...
Le garçon se rembrunit. Hero jette une racine bleue dans le foyer et souffle dessus de toutes ses forces. Une flammèche fait son apparition, et en quelques minutes un gentil feu grandit sous le lapin aux champignons.
- J'ai oublié de vous parler de quelque chose, dit Muggen tout bas.
- Alors, parle pe... commence Hero.
Il laisse sa phrase en suspens. L'apprenti s'est envolé. Ne restent que les volutes de la marmite et, à-travers, le visage d'une rouquine concentré à mélanger le contenu avec une cuiller en bois.
- Tu as l'air de savoir où il a disparu.
- Non, dit-elle en haussant les épaules.
Des coups à la porte. Une jeune tignasse de cheveux gris fait irruption derrière le panneau.
- Vous avez vu ? dit Muggen. Je peux partir, revenir comme je l'entends. Si des chevaliers reviennent au village, je les verrai en premier et je pourrai vous prévenir en l'espace d'un souffle !
Bana et Hero en restent la mâchoire pendante.
BANA
Ainsi, il fut décidé que personne n'allait déménager. Je n'osai pas le dire, de peur qu'on croie que cela ait pu influer sur mon jugement, mais je ressentis un soulagement immense, comme si prise dans une tempête en pleine mer, une vague me ramenait avec douceur sur la berge.
Je chérissais cette maison que j'avais construite de mes mains, le fruit de longs efforts et de travaux pénibles, et j'étais ravie, au bord des larmes, de pouvoir y rester.
Dès le lendemain, le petit prodige reprend sa place d'apprenti chez le menuisier. Il est encore trop fier pour oser demander à Bana de redevenir son élève. Des paillasses sont rajoutées autour du foyer - cependant, Nonoh déplace la sienne à l'étage - et Hero construit un abri pour son fidèle percheron à l'intérieur de la maison, afin de profiter de sa chaleur pendant l'hiver.
Le bruit arrive peu après au village que le roi a retrouvé la trace de la magicienne et qu'elle est maintenant au chevet de son fils. Bana en déduit qu'une pauvresse ou guérisseuse quelconque a saisi l'occasion pour se faire passer pour elle et entrer au service de leur souverain. Elle plaint la pauvre fille, quand elle sera percée à jour.
A l'éclosion du printemps, et dans l'espoir de lui changer son idée d'apprendre la magie, Hero tente d'initier Nonoh à la botanique et l'herboristerie. Elle ne le laisse pas s'approcher, alors il lui dépose de la lecture sur la table ou dispense ses conseils en présence de Bana. Sa pupille passant le plus clair de son temps à le fuir dans la forêt, il part souvent chasser dans l'autre direction. Le soir, il tire les cartes pour la maîtresse de maison.
Bana, prise d'ennui en leur absence, se lance dans un commerce de remèdes avec le village. D'un accord tacite, il est entendu qu'aucun villageois ne mentionnerait sa présence. C'est désormais à visage découvert qu'elle échange ses breuvages et ses poudres contre du pain frais, du poulet ou du vin. Le boulanger, un jeune homme vigoureux et ambitieux, se pique bientôt de pétrir un pain aux vertus guérisseuses. Il propose à Bana un échange commercial, et développe avec succès des miches rondes à la lavande pour se remettre d'un accouchement, ou des tresses de blé et ciguë pour trouver le sommeil.
A l'automne, lors des vendanges qui rassemblent le village entier, Hero comprend que la magicienne et le boulanger se sont rapprochés. Il avait déjà remarqué qu'elle découchait une nuit sur deux. Elle touche le bras du jeune artisan d'une façon familière qui ne peut tromper personne. Il détourne le regard et redouble de hargne à piétiner le raisin.
Aux prémisses de l'hiver, les dernières pousses peinent à s'extirper du verglas naissant. Hero coupe du bois toute la sainte journée, jusqu'à obtenir une montagne telle qu'elle atteint la hauteur de la maison. Il s'éponge le front et se rend au village pour acheter un âne, qu'il choisit doux et gras.
Bana s'étonne de cet acharnement soudain, et un soir alors qu'elle rentre d'un rendez-vous avec son galant, elle fait le tour de la maison - il n'y a que deux pièces ou plutôt deux étages - et ne trouve que Nonoh endormie, et des paillasses vides autour du foyer éteint. Dans le box, à la place du percheron, un baudet fixe la grande brune de ses grands yeux humides.
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L'odeur de la cendre
FantasyLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...
