Boules de feu

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Muggen assène un nouveau coup de biseau sur la paroi d'un coffre presque cubique. Il souffle et enlève les éclats restants du revers de la main.

- Qu'est-ce que tu en penses ? Est-ce ressemblant ?

Le menton dans la main, Nonoh est accroupie dans l'herbe devant la reproduction sculptée du visage de Bana sur le panneau central.

- Peut-être les yeux plus grands ?

- Comment veux-tu que je m'y prenne alors que je les ai déjà taillés ? Ce n'est pas du dessin !

- Pourquoi me demandes-tu mon avis alors ? Quoi ?

Le garçon pousse un long soupir exaspéré. Il a commencé ce coffre lorsqu'il était apprenti chez le menuisier pour l'offrir à Bana mais il devient plus difficile de le cacher désormais, du coup il le transporte d'un coin de forêt à l'autre en l'enveloppant de tissu.

 Pour l'instant, il n'a gravé que le visage de Bana et quelques motifs floraux autour. Il hésite à inclure Hero ou même Nonoh sur les autres panneaux. Après tout, c'est une sacrée casse-pieds.

- Tu n'as pas des incantations bizarres à faire plutôt que te coller derrière mon épaule ?

- Oh c'est bon ! dit-elle en se relevant.

Elle s'éloigne et s'installe dans une clairière voisine. Muggen prend un autre biseau, plus fin, pour essayer d'agrandir les prunelles de sa gravure. Au bout d'une demi-heure à peine, elle est de retour, la tête baissée, les pieds traînants.

- J'aurai besoin que tu fasses quelque chose pour moi. En échange, je...

- En échange ? Tu penses que je ne peux pas t'aider de bonté de coeur ?

Nonoh pince les lèvres.

- J'aimerais que tu m'amènes chez moi, mais je ne veux pas que Bana pense que je suis partie.

Les mots frappent Muggen. Évidemment, elle n'est pas qu'un mirage, elle possède comme tout le monde une famille. Il n'y avait pas vraiment pensé jusqu'à présent.

- T'amener où, chez tes parents ? Tu n'as pas peur d'être déçue.

- Oh non. (Elle rit.) Je suis déjà extrêmement déçue.

- Je ne sais pas comment je peux t'y amener par contre, je ne sais pas où habitent tes parents.

- C'est le bourg de Canausse. Il est très prisé pour son marché. Je pensais que peut-être tu serais passé par là, un jour. 

- Ah oui, c'est un marché de chevaux ?

- Oui !

- On peut essayer... Je ne m'en souviens pas très bien. Prends ma main.

Elle hésite, visiblement mal à l'aise.

- Tu plaisantes ? Veux-tu que j'y aille tout seul ?

- Non non, regarde, dit-elle en lui tendant la main.

Il l'attrape et la presse doucement, l'esprit concentré sur ses souvenirs du marché le plus luxueux de la région. Il n'y est allé qu'une fois, avec sa mère, et seulement pour le plaisir des sens, pour tâter les étoffes chatoyantes, sentir les épices du bout du monde, caresser l'encolure de pur-sangs. 

Il rouvre les yeux sur une place déserte couverte sur une moitié d'une halle en bois au toit de tuiles. Au milieu trône une fontaine ornée de poissons et d'anges magnifiquement dessinés. A l'arrière, on discerne une église peinte de mille couleurs éclatantes et quelques statuettes recouvertes de dorure. 

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant