BanaIl avait environ le même âge, Muggen, quand je l'ai rencontré la première fois. Tout recommence. Les légumes brûlés, les enfants, les bêtises...
On croit toujours mémoriser en ouvrant grand ses yeux et ses oreilles. Et pourtant, force est de constater que ce sont les papilles et le nez qui enregistrent discrètement et vous rappellent d'un coup tout ce qu'on avait pensé oublier.
Si je dois raconter tout dans l'ordre, il me faut remonter à mes seize ans. J'étais orgueilleuse à seize ans, mais les événements m'ont vite changé mon tempérament. C'était lors d'un bal où je me suis rendue seule...
C'est le soir, un soir d'été, quand le soleil est tombé mais que le ciel reste bleu, d'un bleu délavé parsemé de nuages roses. Les criquets et les cigales rythment la nuit claire depuis les bosquets. Dans l'espace encore tiède, nourri de la chaleur de la journée, les doigts démarrent leur course enjouée sur les instruments. D'abord l'accordéon, ensuite la musette, le tambour et le violon. Les villageois assis tout autour de l'aire de danse se lèvent les uns après les autres comme s'ils étaient envoûtés.
Des couples de petits vieux tournent lentement, qu'importe le tempo. Des rires, des lumières roses et oranges, la pagaille des danseurs, des petits cris froissés parfois quand un pied vient en piétiner un autre, et on voit les jeunes filles faire le flamant rose et se frotter la jambe. Il faut danser malgré le tumulte, saisir un espace disponible pour exécuter une figure un peu éblouissante pour les timides qui regardent, qui frôlent la piste mais n'osent s'y aventurer.
Les musiciens plient l'accordéon, caressent le violon et battent les tambourins, tant que ça danse, et ils accélèrent le rythme pour les danseurs les plus sportifs. Ce n'est pas le joueur de musette qui s'embête pour prendre un petit verre de remontant, même en plein milieu du morceau. La musique continue sans lui et redouble d'intensité.
Près de l'orchestre, sous les lampions, un jeune homme blond attend son tour.
Il suit des yeux une charmante brune, dont la fierté se ressent dans toute son allure. Elle est réputée dans le village et très respectée malgré son jeune âge. Les garçons se la volent et elle passe de bras en bras, d'épaule en épaule. Ils veulent tous la tenir par la taille, sans se soucier du regard courroucé des autres danseuses dans la ronde.
Cette fille c'est Bana, elle a repéré l'étrange blondinet planté à côté des musiciens. Il ne vient pas souvent dans leur village et elle ne sait pas d'où au juste. Il paraît que c'est un magicien, qu'il s'appelle Hero mais elle n'en sait pas plus. C'est assez rare cependant pour retenir son attention.
De bras en épaule, elle risque un regard furtif. Il n'a pas l'air de dépasser les vingt ans. Ses cheveux crantés indiquent qu'il provient d'une bonne famille, de la noblesse peut-être bien. D'un bras à une épaule, et d'une épaule à un bras puis vers une autre épaule, elle ne le quitte pas des yeux.
Un peu plus loin derrière lui, elle aperçoit un homme qui rejoint sa proie et lui parle à l'oreille. Lui, on le voit seulement les dimanches à l'église car il travaille au château. C'est un valet de leur âge, il s'appelle Elas et sa mine reflète constamment l'inquiétude. On dit de lui qu'il est maladroit se fait punir souvent.
Hero la montre du doigt, et Elas a tout de suite l'air soulagé.
Elle fait celle qui n'a pas vu, et s'enfonce dans le cœur de la meute des danseurs. Là, cachés des regards, un garçon en profite pour l'attraper par la taille et la serrer contre lui, en la faisant danser au plus proche de son corps. Il n'a visiblement pas l'intention de la laisser s'échapper.

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L'odeur de la cendre
FantasiaLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...