Aurora est assoupie, ses boucles dorées étalées sur l'oreiller, les poings serrés et la bouche entrouverte comme une enfant dans son berceau.
Belle écarte les mèches de cheveux de sa maîtresse et lui caresse la joue.
- Ma dame... Il est temps d'ouvrir vos jolis yeux.
- Mmm, déjà ?
- Ce matin est spécial. Votre père vous a fait livrer un cadeau dans votre antichambre et il vous attend.
A ses mots, Aurora ouvre les yeux en grand et se dresse sur son séant. Elle a un mauvais pressentiment et masse un léger embonpoint sans y prêter attention.
- De quelle taille est ce cadeau ?
- Oh, la taille d'un homme, gigantesque !
La fille du comte déglutit bruyamment. Sa servante rejette les draps et couvertures, et l'aide à enfiler une robe de chambre par-dessus sa chemise. Aurora retrousse sa robe au-dessus des cuisses, sur-lesquelles sa servante vient accrocher ses nouvelles prothèses en bois et attaches de cuir, délivrées par le maître forgeron il y a moins de deux mois. Ces dernières sont beaucoup plus douces à porter, et leur concepteur a même eu la délicate attention d'ajouter une semelle de cuir sous les faux pieds afin d'amortir le bruit.
Elle prend le bras que lui tend Belle et franchit la porte de l'antichambre, où l'attendent trois valets au visage rouge autour d'une énorme boîte. La demoiselle jauge le coffre et prie de toutes ses forces qu'il ne s'agisse pas d'un macabre présent.
Son père est assis dans l'un des deux petits sofas qui meublent la pièce, et tourne vers elle un visage rempli d'un sourire qui sonne faux.
- Ah mon enfant ! Tu es belle et fraîche comme la rose ! dit-il en se levant les bras ouverts.
Deux des valets font glisser le couvercle par terre. Aurora ferme étroitement les paupières, attend les cris d'horreur du public, mais n'entend que des exclamations admiratives.
Sous ses yeux ébahis se dresse une magnifique carriole en bois verni et sculptée de délicates illustrations de contes en bas-reliefs. Les anses de la voiture, au lieu de se trouver devant pour y installer un cheval, se situent à l'arrière de l'assise, afin que les serviteurs puissent la pousser dans les couloirs. Les couleurs sont vives et les rebords du fauteuil rehaussés à la feuille d'or.
- Maintenant que ma fille porte la vie, elle ne peut décemment pas continuer à se promener sur ces béquilles de corsaire ! Ton mari s'est chargé lui-même de la décoration.
Il l'embrasse sur les deux joues et tape dans ses mains. Les servants quittent la pièce. Aurore tourne autour de la chaise sur roues ; elle la trouve un peu trop clinquante à son goût mais y prend place pour lui faire plaisir. Elle aurait préféré que son mari n'ait pas participé à ce cadeau. Cependant, l'assise de velours bleu est confortable, elle ne peut pas dire le contraire. Elle a seulement peur de s'atrophier les muscles tout au long de sa grossesse en se faisant amener partout par ses gens.
- Merci père. C'est un cadeau magnifique.
- Ce n'est qu'une peccadille pour ma fille unique. Aurora, si tu nous donnes un petit-fils, permets-moi de l'appeler Résa, en souvenir de ton défunt frère. Quelle coïncidence ! Cette vie qui s'enfuit, et celle-ci qui commence à poindre...
Il soupire. Aurora ne dit rien. Que son fils à naître s'appelle Résa ou Tarte aux pommes, elle n'en a absolument cure.
Son grand frère avait trouvé la mort au fil de l'épée quinze jours plus tôt, pour une histoire qu'elle trouvait et trouve toujours vraiment bête. Le baron de Poy, son vassal, avait eu un vilain mot à son sujet. Quelque chose comme quoi son père aurait payé son cousin pour qu'il accepte de baiser sa cul-de-jatte de soeur. Ce n'était pas le premier, et ce ne serait pas le dernier à l'insulter ainsi, mais son frère en avait pris ombrage. Il faut dire que ce n'était pas le premier coup d'éclat du baron, que Résa avait également surpris à courtiser sa fiancée.
L'addition de ces deux camouflets avait été suffisante pour échauffer le sang de Résa. Il se sentait déjà suffisamment coupable d'avoir connu une amourette avec la servante Dred, celle qui avait voulu réduire sa soeur en poussière. Aurora n'était pas censée le savoir, mais elle les avait vus une fois se bécoter dans le garde-manger. Bien que le roi ait interdit de telles pratiques, Résa avait provoqué son vassal en duel.
Seulement il n'avait pas eu le dessus et était mort de ses blessures. Le père d'Aurora était furieux. Et le coupable était tout désigné.
- As-tu entendu que le roi était sur la piste d'une guérisseuse ?
- Oui père, articule lentement Aurora.
- Avec de la chance, nos chevaliers mettront la main sur elle avant ceux du roi, grommelle t-il.
- Père... personne ne peut plus me guérir, vous le savez bien.
- Guérir non, mais venger, il est encore temps !
Aurora sent son coeur s'emballer dans sa poitrine.
- Il s'agit encore de cette magicienne ? Mon père, je vous en prie, arrêtez et oubliez, comme j'ai eu la bonne grâce de le faire. J'ai accepté mon sort et je n'aspire plus qu'à la paix. Pourquoi ne pouvez-vous en faire autant ?
- Si ce n'était pour elle, ton frère serait encore en vie !
- Ne devriez-vous pas plutôt vous en prendre à celle qui m'a jeté le sort en premier lieu ?
- Cette souillon ? Mais son sort est réglé depuis bien longtemps, mon enfant chérie ! Si tu n'as pas entendu parler de ce qui lui est arrivé, je peux te dire que nos vilains eux sont au courant !
Il tourne autour de son fauteuil roulant comme un lion en cage, rageant contre cette servante et sur la façon dont il a mis fin à ses tourments. Finalement, il sort en claquant la porte. Dans le couloir, Aurora l'entend pousser un long hurlement d'animal blessé.
Les trois valets et Belle restent silencieux, le regard rivé droit devant eux, sans regarder personne. La servante d'Aurora attend que les échos du comte se soient évanouis, avant de se placer derrière elle, les mains sur les poignées de sa carriole bariolée.
- Ma dame voudrait-elle s'aérer de frais dans la cour ?
- Oui tiens bonne idée, je vais aller jeter du grain à ces horribles poules.
![](https://img.wattpad.com/cover/30023435-288-k899357.jpg)
VOUS LISEZ
L'odeur de la cendre
FantastikLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...