Clair de lune

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Bana, dissimulée près d'un chêne à l'orée du village, étudie la quiétude des maisons. C'est Muggen maintenant qui la tient au courant de leur vie quotidienne.

Elle entend une branche craquer derrière elle et se retourne brusquement.

Éclairé par un rayon de lune, elle reconnaît un jeune homme blond pourvu de la prestance d'un noble. Il est vêtu d'une tunique de lin ouvragée, sûrement acquise à la grand foire, et porte une épaisse besace en cuir.

- J'ai ouï dire que ce village ne connaît plus la maladie ni même la mort.

Elle le dévisage puis lui tourne le dos.

- Simple coïncidence, le temps fera son affaire et se chargera de les détromper.

L'attitude de Bana n'affecte pas Hero. Il farfouille dans sa besace et en extirpe un livre à la couverture rongée par le feu, ainsi qu'un sachet de tissu.

- Voilà, comme promis !

- Quoi ?

- J'ai ramené de la poudre d'iboga pour Muggen.

- Nous nous sommes débrouillés sans toi, tu penses bien !

- Tant mieux, tant mieux. Et voici un grimoire pour me faire pardonner, un peu brûlé car il a été sauvé du bûcher.

Bana tend la main vers lui sans se retourner. Il lui remet le grimoire, qu'elle feuillette avec négligence et retourne dans tous les sens.

- Les images sont belles... mais les vrais magiciens n'ont que faire de grimoires. Tu aurais dû le laisser brûler.

Elle se tourne pour lui faire face et lui lance le manuscrit qu'il rattrape de justesse. Hero le range dans son sac et en sort cette fois une équerre en cuivre.

- Tu connais ?

- Pourquoi ?

Il place l'instrument devant ses yeux et le lève vers le ciel bardé de lumières, en alignant l'angle le plus large sur l'étoile du berger.

- Tu le tiens à l'envers, dit Bana.

- Comment ça ?

Elle s'approche de Hero et lui prend des mains l'équerre pour la faire pivoter.

- Oh. Tu vas rire, mais c'est sur les prédictions de cet objet que j'ai cru...

- Que Muggen serait un grand magicien ?

- A vrai dire...

- Il est en apprentissage chez le charpentier maintenant.

Hero considère l'équerre entre ses mains, anéanti.

- Toutes ces années à me tromper !

- Années ?

Il s'éloigne en vociférant. Tout s'explique. Tous ces événements annoncés dans les astres pour lesquels il arrivait toujours trop tôt, trop tard ou trop loin.

Il y a 3 ou 4 ans de cela, il s'était rendu au bal où il avait fait la rencontre de Bana, car les étoiles prévoyaient la naissance d'un Dieu, rien de moins. Quelle déception.

Il se laisse tomber sur un rocher et se prend la tête dans les mains. Bana croise les bras et le rejoint.

- Qui t'a appris à utiliser cet instrument ?

- Quelle honte, quelle honte...

Et soudain, elle est là, face à lui, comme dans son souvenir. Ses longs cheveux bruns sont noués en tresse, et elle porte son habituelle robe de bure. Dans un mortier, elle s'échine à broyer des fleurs de gui. Elle lève ses grands yeux bleus vers lui et lui tend une coupe remplie de la mixture écrasée.

- J'ai chevauché à bride abattue durant deux nuits pour te prévenir, Bana. Les sbires du roi ont entendu parler de toi.

La magicienne déglutit bruyamment mais garde son sang-froid.

- Combien de temps me reste t-il ?

- Un ou deux jours. A l'heure qu'il est, ils doivent déjà connaître le nom de ce village.

Hero se décale pour laisser la place à Bana de se laisser tomber à côté de lui sur la pierre. Elle fait un geste de prière.

La magicienne aux yeux bleus les observe maintenant d'un air moqueur.

- Peux-tu aller chercher Muggen ? dit Bana dans un souffle. Je vais rassembler mes affaires.

Elle se relève d'un mouvement brusque mais ne bouge pas d'un centimètre de plus.

- En fait, je ne sais pas où aller.

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant