La chute

167 34 5
                                        

Complètement abasourdie, Nonoh voit l'épée sortir du ventre de Muggen, et lui tomber à genoux, vaincu. Quelque chose flotte dans l'air.

Elle ne peut pas croire qu'il va mourir. Pas Muggen, pas lui. Une épée ne peut pas l'arrêter, lui, si elle a su survivre à un éclair.

Mais à mesure que tout croule autour d'eux, elle comprend que c'est le corps de Muggen qui lâche prise et l'empêche de contrôler son pouvoir. C'est lui qui fait s'effondrer la tour, parce qu'il ne peut pas l'éviter, parce qu'il va mourir. Elle a l'impression qu'on lui lacère le coeur. Elle ne peut rien faire.

Si elle n'était pas déjà sur le point de tomber, elle se serait roulée en boule dans un coin bien sombre pour arrêter d'exister. Mais elle a à peine le temps de penser à la mort de son seul ami que la sienne s'annonce imminente. Ils vont mourir tous les deux dans quelques secondes. Elle lui envoie toutes ses pensées, une dernière fois.

Elle glisse dans le vide. Son souffle est coupé net.

Et soudain, une envie de vivre la dévore. Elle oublie Muggen et tous les autres, et le monde entier, et sa famille, sa nouvelle famille, son quotidien, le passé, le présent, tout ce qu'elle a jamais désiré.

Il n'y a au-dessus d'elle, à travers le plafond dégringolant, que le ciel bleu et l'astre luisant. Elle n'a jamais, à aucun moment de sa vie, senti si fort le désir de vivre, envers et contre tous, et quoiqu'il en coûte.

Elle fixe le soleil, les yeux grands ouverts, le coeur gelé. Elle n'avait plus regardé le soleil depuis qu'il avait failli lui coûter la vue, seulement plus rien n'a d'importance désormais.

Les flammes fauve lui brûlent la rétine mais elle les désire si fort, elle dirige ses prières vers l'étoile de feu avant tant d'ardeur, qu'elle sent le Soleil venir vers elle, descendre sur la Terre pour l'envelopper toute entière et la consumer dans ses torrents de lave.

Le Soleil est un Dieu. Jusqu'alors elle ne l'avait que soupçonné. Elle ne peut plus douter alors qu'il s'impose à elle dans toute sa puissance.

Dieu Soleil, prends-moi dans tes flammes, astre de vie. Dans mon âme, il n'y a que toi. Il n'y a plus que toi. Tu es noir comme la mort et je t'attends. Viens à moi Soleil.

Elle garde les yeux grands ouverts mais ne distingue plus rien que des halos blancs autour d'elle et un gigantesque gouffre noir éclairant la terre entière. Elle sent seulement son corps s'embraser, sa chair être dévorée et dispersée en petites flammèches de peau noircie. Les flammes que sont devenus ses cheveux lui grignotent le crâne pour lui ressortir par les yeux. Le Soleil mérite tous les sacrifices. Je m'en remets à toi. Adieu Muggen, Bana. Elle referme ses mains carbonisées sur la divinité qui l'entoure, essayant de la saisir, et disparaît. Il ne reste plus d'elle qu'une volute de fumée.


Un courant d'air lui caresse le visage. Autour de lui, l'étendue d'herbe verte est parcourue de frissons. Il a un peu froid, mais quelque chose de plus l'indispose.

Muggen essaie de bouger le bras pour tâter son corps, mais rien ne se passe. Il est paralysé et son souffle est court. L'envie de vomir lui donne des sueurs froides dans le dos.

Malgré tout, l'herbe est fraîche et son odeur apaise ses souffrances. Il se réveille d'un rêve étrange et beau. Il se trouvait dans une tour avec Nonoh et la tour s'effondrait sur elle-même. Une épée lui transperçait le corps tout net. Il contemple le ciel au-dessus de lui. Quelques nuages se promènent doucement, et le bleu est étincelant. En baissant le regard, il découvre le pommeau d'une épée ; celle qui est toujours plantée dans son ventre. Il se fige. Pourtant, il ne sent rien. D'ailleurs il ne sent pas grand-chose nulle part. C'est comme si tout son corps était congelé, et le fonctionnement suspendu. Le sang ne coule pas autour de la blessure, ni à l'intérieur de son abdomen. Il a suspendu le temps dans son corps même. Seul son cerveau parait encore en état de marche, à moins que ce soit seulement son âme qui persiste.

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant