Nonoh et Muggen se sont entendus pour aller chacun de leur côté. Elle lui a promis de ne rien faire de dangereux en son absence, et lui peut tranquillement continuer de sculpter son coffre.
Mais Nonoh a entendu du bruit dans une clairière en forme de cuvette dix mètres plus bas. Elle surveille maintenant deux cavaliers. Leurs chevaux sont attachés et eux sont assis sur deux gros rochers.
Leur armure est courte et noire et leurs jambes recouvertes de cotte de mailles. Les heaumes sont noirs également et l'écusson brodé sur leur poitrine représente un lion crachant une épée. Celui de droite défait les armes pendues à sa taille et les dépose dans l'herbe, avec son casque.
Il passe sa main dans ses cheveux châtain pour les réveiller un peu. Nonoh serre ses poings dans la terre et se pousse vers l'avant, pour dévisager le chevalier tête nue.
Le cavalier lève la tête, un bref instant, avant de lever la main pour protéger ses yeux du soleil. Son compagnon d'armes se libère aussi de son heaume et s'ébroue comme un jeune chien. Il retire tous ses fardeaux, les armes, les gants et une sacoche de laquelle il sort un torchon, qu'il déballe devant eux. Alors que l'autre s'accroupit auprès de lui et sort un couteau de sa botte pour trancher le pain, ils paraissent étrangement semblables. Les mêmes taches de rousseur, les mêmes yeux en demi-lune, le même menton pointu.
Ses débiles de frères se sont fait chevaliers. Il ne manquait plus que ça.
Elle a le même menton pointu, mais pour le reste, il n'y a pas grand-chose en commun. Qu'est-ce qu'ils fichent ici ? Sont-ils là pour Bana, ou pour quelqu'un d'autre de ce village ? Ou peut-être est-ce juste une étape dans leur route ? Ou alors ils recherchent leur petite soeur, celle qui a assassiné leur père avec un tison. D'ailleurs, ce sont sûrement eux qui ont trouvé le corps.
Aussi loin qu'elle se souvienne, elle a toujours vu deux paires de très longues jambes surmontées de deux têtes pareilles au regard mort, baignées dans l'ombre, ne parlant pas, écoutant à peine et ne voyant rien.
Elle est partagée. Est-ce qu'elle devrait rester ici à l'abri, ou essayer de retrouver Muggen ?
Elle plonge sa tête rousse entre les hautes herbes du rebord et écarte quelques tiges pour les voir. Ils ne font que casser la croûte, tartinant leur pain épais de mélasse, grignotant des lambeaux de viande séchée. Ils ne parlent pas, mais Nonoh ne les a jamais connus bavards. Chaque fois qu'elle était obligée de rester avec eux, leur silence en était presque déstabilisant, si bien qu'elle se demandait s'ils étaient vraiment humains ou juste des figures d'argile auxquelles on aurait insufflé la vie, comme on le lui avait raconté.
Quand elle était petite, elle croyait vraiment qu'ils étaient étrangers à leur famille et ne comprenait pas pourquoi sa mère persistait à les désigner comme ses frères, parce qu'ils n'étaient pas comme les frères et sœurs de ses amis. Sa mère lui avait dit que c'était à cause de leur gémellité et Nonoh en avait déduit que tous les jumeaux sont des créatures du diable qu'on ne peut pas comprendre. Et en les voyant là, juste en contrebas, son impression se confirme.
Elle revient à son angle d'observation. Muggen se trouve probablement dans son recoin favori. Combien de temps met-elle pour y aller ? Et si ils la trouvaient elle avant ? Plongée dans ses réflexions, elle ne se rend pas compte qu'elle écrase plusieurs brindilles.
Les deux chevaliers lèvent la tête, l'oreille aux aguets. Un des jumeaux, celui avec les cheveux un peu plus longs, se redresse et porte la main à la garde de son épée. L'autre accroupi, attend. Finalement, le frère debout lui fait signe d'empaqueter leurs victuailles. Le chevalier sentinelle frotte la terre du bout de sa botte pour effacer leurs traces et jette un dernier regard alentour. Ils se pressent de détacher leurs montures et partent au trot en direction du village.
Très bien. Cela veut donc dire qu'elle a le temps d'aller trouver Muggen. Peut-être même qu'ils ne se dirigent pas du tout vers leur marécage.
Une vingtaine de minutes plus tard, elle avance lentement car elle essaie de se cacher au mieux, elle aperçoit le garçon penché sur son burin qui s'active sur une des parois du buffet. Il est en train d'ajouter le visage de Hero, le dernier après le sien et celui de Nonoh. Il a longtemps hésité, mais comme il se trouve sur la façade de derrière, Bana pourra toujours le tourner vers le mur et ne jamais voir le faciès de l'herboriste.
- Muggen, je crois que des mercenaires vont encore ennuyer Bana.
- Oh.
Il laisse tomber son burin et lui tend la main.
- Non non je vais rester là, dit-elle en secouant la tête. J'ai peur qu'ils soient là pour moi.
- Pourquoi ?
- Ce sont mes frères.
- Quoi ? Mais que font... ? Bon, on en reparle plus tard. Je reviens dans moins d'une heure. Ne bouge pas d'ici.
Nonoh opine du chef, mais en son for intérieur elle n'est pas sûre des raisons de la terreur soudaine qui l'envahit. Il s'agit davantage d'un mauvais pressentiment, de quelque chose de terrible sur le point d'arriver.
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L'odeur de la cendre
ФэнтезиLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...
