Aurora

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Elle se relève sur un coude et regarde son mari endormi. Son horrible mari ronflant entre les draps brodés du lit nuptial. Celui qu'elle avait autrefois trouvé beau et élégant est devenu le cauchemar de ces jours. Ce qu'elle aimerait être veuve.

Dans la chambre plongée dans la pénombre, où même les coffres ont pris l'apparence de démons tapis dans l'obscurité pour se moquer de son infortune, Aurora se prend à penser. Sur la masse informe de laquelle elle aperçoit seulement l'arrière de la tête, la chevelure brune, et qui lui tient compagnie dans ce grand lit. 

Il s'est couché aussi loin d'elle que possible pour ne pas risquer de frôler avec son pied le fer d'une de ses prothèses. Il dit que c'est horriblement glacial. Son mari l'oblige à porter ces prothèses pendant qu'il l'honore - et quel honneur - et ne la prend que de dos - quand il arrive à la prendre - pour ne pas voir son visage et imaginer qu'elle est une autre femme. Elle arrive pourtant à se rappeler comme les hommes la regardaient avant. Elle était fière. Elle est misérable aujourd'hui.

Heureusement elle possède quelques servantes dévouées. Sa plus grande confidente, Belle, la fournit en herbes qui empêchent la grossesse. Elle ne fait que retarder l'inévitable cependant, car son époux n'arrêtera ses assauts dénués de passion que lorsqu'elle aura mis au monde un fils.

Elle s'allonge à nouveau et fixe le motif du baldaquin.

Il ronfle peut-être mais Aurora sait qu'il fait semblant de dormir et attend d'être sûr qu'elle soit assoupie pour s'éclipser et probablement rejoindre une de ses servantes.

Son père, qui s'escrime à pourchasser la sorcière qui lui a volé ses jambes, se voile la face. L'abomination ne se trouve pas ailleurs, elle est dans le propre lit de sa fille. Comme elle aimerait fracasser, à travers son épaisse chevelure soyeuse, le petit crâne d'hypocrite de son mari.

Soudain elle perçoit un léger mouvement dans le lit. Elle ferme les yeux. Son époux se tourne vers elle et la croyant endormie, s'extirpe sans faire de bruit de sous les couvertures et à pas feutrés se faufile par la porte entrouverte. Bon débarras.

L'odeur de la cendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant