En ce matin froid et sec, le comte, un père aimant bien que louvoyé, a fait convoquer le meilleur forgeron du pays pour fabriquer de nouvelles prothèses plus confortables et esthétiques à sa fille chérie.
Il ne parle pas de prothèses ou de jambes manquantes en sa présence, et n'évoque qu'un "désagrément". Toute la maisonnée marche sur des oeufs lorsqu'il s'agit de mentionner son handicap. Aurora se sent honteuse et gênée d'en parler, ou même de montrer ses jambes de fer.
A l'arrivée du maître forgeron, ses gens quittent la pièce pour ne pas lui paraître impudiques et la laissent avec le nouveau venu. L'homme qu'elle reçoit dans son antichambre n'est plus un jeune homme, mais pas un vieillard non plus. Il a les mains les plus gigantesques et noueuses qu'elle ait jamais vues, creusées de sillons et à la peau épaisse comme du cuir.
Il se baisse et effleure le métal de ses prothèses comme s'il s'agissait de vraies jambes de femme et elle-même se sent gênée de sentir un homme lui toucher les chevilles.
- Je ne vous fais point de mal ?
- J'en ai connu d'autres, ne vous en faites pas.
Il sourit. "Et ses prothèses vous paraissent comment ? Elles vous font souffrir ?"
- J'ai l'impression qu'elles s'accrochent à ma chair saine et la compriment afin de pouvoir tenir en place.
- Douloureux donc.
Aurora dévisage le forgeron sans croiser son regard. Il la traite délicatement et en détachant les prothèses, effleure à peine ses cuisses, de peur de la gêner ou de mal se comporter avec une dame. Lui ne la voit pas comme une estropiée, comme les autres, mais comme une fille de comte, une femme noble, une épouse au corps désirable, et il n'en devient que plus sympathique à ses yeux. Elle se prend à rêvasser.
Que n'est-il mon mari, cet homme humble mais si doux? Est-ce que ce ne serait pas plus agréable d'être la femme d'un simple artisan?
Il prend quelques mesures et vérifie la vigueur des attaches de ses prothèses, gribouille grossièrement quelques notes dans son carnet.
- Vous savez écrire ?
- Juste les chiffres, ma dame.
Le forgeron lui pose d'autres questions sur le matériau et sur sa facilité à se mouvoir, avant de hocher la tête et de l'aider à remettre ses jambes de métal en gardant les yeux baissés. Aurora ressent un pincement au coeur à l'idée qu'il veuille déjà la quitter. Qu'allait-elle s'imaginer ? Qu'elle pouvait susciter la moindre attraction chez un homme avec son demi-corps ?
- Je vais façonner quelque chose dans mon atelier, avec du bois ou du cuir, je pense que cela vous conviendra mieux, annonce t-il en se redressant. Je reviendrai dans deux jours pour faire des essais et des ajustements.
Aurora se retient de soupirer de soulagement. Elle le reverra dans deux jours.
- Je ne vais pas vous retenir, votre femme et vos enfants doivent probablement être impatients de vous retrouver pour le déjeuner.
- Ah ma dame, j'aimerais avoir cette chance. Par un grand malheur ma femme est morte en couches, il y a dix ans de cela.
- C'est épouvantable ! Et moi qui abordais le sujet en toute innocence, je suis confuse.
- Ne vous excusez pas, ce n'est point votre faute. De plus, le temps est passé depuis et j'ai fait mon deuil.
Aurora se mord la lèvre.
- Puis-je vous proposer de vous joindre à notre table pour me faire pardonner ?
- Vous êtes toute pardonnée mais j'accepte votre invitation. Ce n'est pas tous les jours que je suis invité par des hôtes de votre... qualité.
VOUS LISEZ
L'odeur de la cendre
FantasyLa magicienne Bana a fui après une erreur de jeunesse qui a rendu infirme la fille du comte. Un jour, une vieille connaissance vient la trouver dans sa maison près du marécage. Hero est beau, mystérieux et il ne vient pas seul. Il lui confie un peti...
