Time is on my side - 7

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            Je me rappelle de chaque recoin de cette pièce. La moquette marron est toujours aussi moche, je me souviens qu'elle grattait et m'abîmait les genoux quand je jouais dessus. Elle est coordonnée à la tapisserie verte à rayure noir et encore marron, le même que celui du sol. Le comble du mauvais goût et pourtant je l'aimais. Rien n'a changé. Des cowboys playmobils trainent par terre à côté d'un vaisseau tiré du dessin animé Ulysse 31. Sur la commode en chêne, il y a un mange-disque orange sur lequel sont posés les 33 tours des Mystérieuses cités d'or et de Tom Sawyer. Sur le mur, à la tête du lit, sont épinglés l'affiche du film Superman de Richard Donner et celle de La planète des singes avec Charlton Heston. Je n'ai pas besoin de les voir pour savoir que dans le secrétaire fermé à l'autre bout de la pièce se trouvent, entre autres, un harmonica, un livre illustré sur le Mont-Saint-Michel et une collection de cartes Panini Albator. Il y a également une boîte avec les dents de lait que j'ai perdu. Dégueulasse. Je le sais parce que je me trouve dans ma chambre, du moins celle que j'avais le jour de mes dix ans.

Je regarde le petit Angus allongé dans son lit. Agenouillé à son chevet en train de lui parler doucement il y a son père, mon père. Aujourd'hui, je viens de fêter mon dixième anniversaire avec mes parents. Nous avions fait un repas rien que tous les trois. Celui qui était prévu avec mes grands-parents paternels deux semaines plus tard ne se ferait jamais. Cette même famille ne voudra pas recueillir l'orphelin que je serais devenu, s'estimant trop vieux pour élever un enfant. Je n'avais plus qu'eux et ils m'ont abandonné à mon triste sort.

Dans moins de vingt-quatre heures quelqu'un viendra m'annoncer que l'avion qui emmenait mes parents en vacances à New York n'avait jamais atterri. A l'époque, je n'arrivais pas à dormir ailleurs que dans mon lit et mes parents avaient trouvé une jeune voisine qui avait gentiment accepté de me garder dans notre maison. Je me rends compte que j'ai oublié son nom mais c'était elle qui avait ouvert aux agents de police annonciateurs de malheur. Je n'avais pas eu d'autres choix que d'apprendre à dormir dans d'autres lits après ce jour. J'avais vécu dans divers foyers d'accueil de l'assistance publique où j'avais eu peur de me faire tabasser par de vrais cas sociaux aux comportements dangereux. J'avais appris à me fondre dans la masse jusqu'à devenir invisible aux yeux des autres. La solitude devint mon refuge. J'avais conclu qu'il valait mieux être seul et en bonne santé que la gueule en vrac à cause des cons qu'on m'obligeait à côtoyer. Je ne pouvais compter sur personne, que sur moi-même et je ne m'en suis pas trop mal sorti. J'ai ensuite très vite préféré la compagnie des livres et des films à celle des êtres humains jusqu'à devenir cet être associable que j'étais encore avant de connaître Sophie. Je n'aimais pas l'humanité, je n'ai jamais supporté ce besoin qu'ont les autres de se sentir supérieur à leur prochain. Certains se voilent la face, ils diront que c'est le contraire, qu'ils font le bien. Ils se trompent, il y a toujours une satisfaction personnelle derrière chaque acte commis par un humain, aussi altruiste pense t'il être. Au final, le message est : je peux t'aider car j'ai une capacité physique, financière ou intellectuelle dont tu es dénué. De quoi s'auto-palucher en privé. Avec la vision cynique que j'ai du monde, il est étrange que je poursuive aujourd'hui une quête qui doit, d'après Shaka, empêcher l'extinction de notre planète ainsi que des parasites qui la détériorent et dont je fais partie. Méritent-ils ma considération ? Si l'elfe pouvait lire dans mes pensées en ce moment, je suis persuadé qu'il ne voudrait pas que je continue cette mission. Je ne suis pas l'homme de la situation. Je suis comme tous les autres êtres humains, j'agis de façon égoïste. Mon seul but est le retour à la vie de mon amour. Mais ce n'est pas pour elle que je le fais, elle est morte et ne demande rien. Si je le fais c'est finalement pour moi, pour que je puisse vivre en paix avec moi-même et effacer cette dépression qui me pollue l'esprit. Je ne suis pas différent de mes congénères.

Le Geek Ultime (2. Intertwined Destinies)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant