Le Geek Ultime (2. Intertwined Destinies)

Time is on my side - 2

            Congo Mirador est un village minuscule fait de maisons sur pilotis entièrement construites sur l'eau, ce qui est assez incompréhensible car il est situé dans une embouchure entourée de terres émergées. Les habitations sont toutes très colorées, vert pastel, rouge flamboyant, bleu lagon ou encore jaune soleil. Il y a même une petite chapelle, semblable à un saloon tout droit sorti d'un western auquel est apposée une tour de siège médiévale. Flottant à la surface du lac, je la vois comme un îlot où je pourrai attendre la rédemption pour mon âme perdu. Avec la lumière du soleil couchant, je trouve ce hameau apaisant. Si je n'avais pas cette promesse que Shaka m'a faite de me rendre mon amour, je pourrai y vivre en harmonie avec moi-même, loin de toute civilisation.

Les habitants que nous croisons ont l'air de mener une vie simple et paisible faite de pêche et de partage sur les eaux calmes du lac Maracaibo. Le mot Mirador dans le sens qui m'est le plus familier ne leur rend effectivement pas justice. Ils sont loin d'être enfermé, au contraire leur village ne peut pas être plus en osmose avec la nature, ouvert de tous les côtés. La définition de Shaka est la plus juste, à tout point de vue.

Les autochtones ne paraissent nullement surpris de voir des étrangers. Nous formons pourtant une équipé très hétéroclite. Je suis celui qui semble le plus normal de notre groupe avec mon look de touriste en jean basket. Tak a toujours un style de geek pré-pubère. Il ne passe pas inaperçu avec son sweat à capuche inspiré de la tenue d'Ezio Auditore dans le jeu Assassin's Creed qu'il porte sur un t-shirt Batman. Le comble du mauvais goût pour moi, on ne mélange pas deux franchises. Celui qui dénote le plus est sûrement Shaka avec un costume vert et des mocassins marrons plus fait pour aller négocier des contrats dans une grande mégalopole que pour traverser un lac sur un rafiot pour rejoindre un coin paumé du Venezuela. Les foudres de Catatumbo attirent des touristes du monde entier, il y en a peut-être des plus farfelus que nous. Cela doit être plus rare que ceux-ci viennent par leurs propres moyens plutôt qu'avec une agence de voyage en circuit organisé. Les habitants de Congo Mirador voient les bateaux passer mais personne ne s'arrête jamais chez eux. Ils sont devenus une attraction que l'on prend en photo de loin. La misère ne fait pas rêver de près. Il ne faut pas effrayer les touristes, ce n'est pas vendeur. A plusieurs centaines de mètre, ils voient la partie visible de l'iceberg, les magnifiques maisons de couleur posées sur l'eau. Ce qui est caché, c'est la population. Moi je suis au milieu de Congo Mirador et je trouve que ces gens sont beaux. Ils mènent une vie qui a tellement plus de sens que toutes celles des voyeurs qui ne font que passer.

Je me serais bien arrêter mais Shaka n'en a pas l'intention et Takeshi a peur. Cet otaku n'est pas sorti très souvent de sa chambre, le monde virtuel l'intéressant plus que le monde réel. Pour lui, c'est un choc d'être confronté à d'autres êtres humains qui vivent de manière très éloigné de ce qu'il peut tolérer. Pour Tak, si tu n'as pas une voiture avec chauffeur pour te déplacer, une piscine avec jacuzzi pour te détendre, une salle de jeu privative pour te vider la tête et une collection de porno pour te soulager, tu as raté ta vie. Ça fait beaucoup de gens qui ne rentrent pas dans ses critères, mais certains tendent à s'en approcher. Je dois être le seul mec « normal » qu'il supporte et Shaka, le seul être qu'il suivrait au bout du monde. Quoi de mieux pour un geek que d'avoir un pote elfe. Il faudra tout de même que je lui dise un jour que Shaka n'a pas de pote et ne compte pas s'en faire. L'elfe n'agit pas pour lier des amitiés mais pour servir des intérêts qu'il est le seul à connaître. En attendant, je laisse Tak espérer.

Nous accostons sur les rives du bras de rivière à l'est de Congo Mirador. Notre frêle embarcation a tenu, ce qui n'était pas gagné vu son état. D'après le livre de connaissance, nous allons maintenant devoir marcher jusqu'à un lagon nommé « El Pozo », ce Shaka nous a traduit par « le puit ».