Vendredi 5 avril 2013

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Dan se laissa tomber sur le banc du vestiaire, morose. Il délaça ses patins en pensant à Alicia. Il ne faisait que ça, de toute façon. Penser à elle, à eux, à l’avenir qu’ils auraient pu avoir et à celui, beaucoup moins appréciable, qui se profilait. Il jeta ses patins au fond de son casier. L’une des lames lui entailla légèrement le doigt. Exaspéré, il claqua brutalement la porte métallique.

-         C’est plutôt le genre de Romain, ça, commenta David qui remontait de la patinoire.

-         De quoi ? Demanda justement Romain qui le suivait.

Bien que la saison soit terminée, ils avaient pris l’habitude de s’improviser des petits entraînements, histoire de garder la forme et de préparer un minimum les quelques matches amicaux de fin de saison. D’autres joueurs les accompagnaient souvent mais pas aujourd’hui.

-         De faire souffrir le matériel.

Romain jeta un coup d’œil à Dan.

-         Je suppose que ça ne se passe pas aussi bien que tu l’avais prévu.

Dan lui adressa un regard noir mais se contint. Même si Romain avait parfois le don de l’agacer, il n’était fautif de rien.

-         Y a un peu de ça, marmonna t-il.

-         Tu as donné ta réponse à Cockney ? S’enquit David.

-         Non.

-         Ouais. C’est que ça doit vraiment être compliqué.

Dan laissa échapper un petit rire ironique devant cet euphémisme.

-         Si je rentre, ce sera sans elle.

David et Romain ne répondirent pas et affichèrent une mine désolée. Dan jeta son sac sur son épaule et se dirigea vers la sortie

-         Et c’est sa décision, pas la mienne, ajouta t-il avant de passer la porte.

David et Romain, restés seuls, échangèrent un regard.

-         Je n’aimerais pas être à sa place, dit David.

-         Je me doutais qu’elle ne partirait pas si facilement, répondit Romain.

-         Et tu dois être soulagé.

Romain se tourna vers son ami en fronçant les sourcils.

-         Ce qui veut dire ? Même si je n’aimerais pas la voir partir, si c’est une bonne chose pour elle, je serais le premier à l’encourager.

David haussa les mains en signe de paix.

-         Excuse-moi, mon pote. Je disais pas ça dans ce sens là. C’est jamais facile de quitter ceux qu’on aime et je comprends. C’est tout.

Romain haussa les épaules.

-         Je te laisse, je vais passer la voir. A plus.

-         Salut.

Romain prit la direction du bureau de sa cousine, soucieux. Si Dan était dans cet état, il appréhendait celui d’Alicia. Il salua Éric et Philippe et arriva devant sa porte. Elle était entrouverte ; il entra. Elle leva le nez de ses papiers quand elle l’entendit.

-         Salut. Ça va ? l’accueillit-elle.

-         C’est à toi qu’il faut demander ça, dit-il en l’embrassant et en s’asseyant dans le fauteuil d’en face.

-         Pourquoi ?

-         Je suis aller jouer avec Dan.

Elle pinça les lèvres.

-         Tu ne pars pas.

Elle secoua la tête.

-         Non, je ne pars pas.

Son visage était triste et Romain se sentit mal à l’aise.

-         Pourquoi ? Si c’est parce que tu as peur d’être loin de ta famille…

-         Oui, le coupa t-elle, j’ai peur d’être loin de Tata, de mes parents et encore plus de toi. Mais il n’y a pas que ça. Tu n’es pas l’unique raison de ma décision, ajouta-elle.

-         Je suis vexé, répondit-il pour tenter de la dérider. Tu es sûre de toi ? Enchaina t-il plus sérieusement. 

Elle posa son coude sur le bureau, son menton dans sa main, l’air découragée.

-         Non, je ne suis sûre de rien.

-         Ça fait des mois que je vous vois ensemble et j’ai de sérieux doutes sur le fait que tu puisses vivre sans lui.

-         Je ne laisserais pas tout tomber, dit-elle tout bas comme si elle s’était répété cette phrase des centaines de fois.

Romain poussa un soupir, ne sachant pas quoi lui répondre.

-         Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver, dit-il.

-         Merci, répondit-elle avec un pauvre sourire.
 

***

Dan marcha jusqu’au parc Torini. Il était déjà venu s’y balader avec Alicia. C’était un bel endroit et il avait besoin d’être seul. Il laissa tomber son sac dans la pelouse et s’assit sur un banc face au lac. Il était minuscule en comparaison des lacs canadiens. Dan s’était imaginé rentrer chez lui, avec elle. Il l’aurait présenté à sa famille, ils auraient loué une petite maison. Il l’aurait trouvé devant la cheminée en rentrant le soir après ses entrainements au Centre Bell. Cela lui avait semblé si simple et si naturel. Mais il savait maintenant que cela ne resterait qu’un doux rêve. Il n’avait pas envisagé de rentrer seul. Le Québec lui manquait. Cela n’aurait tenu qu’à lui, il serait déjà reparti, comme la plupart de ses collègues étrangers. Mais il ne pouvait pas concevoir de partir loin d’elle. Ce n’était pas dans l’ordre des choses.
Quand ils en avaient discuté, il avait vu qu’elle avait peur et il le comprenait. Il était passé par là. Mais il avait cru qu’elle pourrait et qu’elle voudrait vivre cette aventure avec lui. Le regard tourné vers le ciel, il se demanda si intégrer la Team Canada valait réellement le coup si elle n’était pas à ses côtés. Il n’arrivait même pas à croire qu’il envisage de dire non. C’était la chance de sa vie ; c’était le poste de ses rêves. Une petite voix lui souffla qu’il avait eu un autre rêve ; celui de trouver la femme qui pourrait partager sa vie. Il l’avait trouvé, il en était certain. Et il était également certain qu’il voulait jouer dans la meilleure équipe de son pays. Les deux ne semblaient pas compatibles. Il se leva brusquement, ramassa un cailloux et le jeta de rage dans le lac. Pourquoi était-ce si compliqué ?
Il allait devoir faire un choix. Cette idée le rendait dingue.

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