Chapitre 14

323 63 6
                                    

Dans un premier temps, seuls mes pas et mon souffle ténu se font entendre dans le couloir sombre. Je resserre ma prise sur la hache avant de m'arrêter là où l'obscurité la plus totale commence. Je sais que dans quelques secondes, les lumières viendront pour me frapper et m'éblouir, permettant alors à l'occupant de cette section de cogner le premier. Je me souviens comme si c'était hier des gestes à exécuter pour se prémunir de ce genre d'embûches. Lentement, je me penche et glisse la main sur le sol froid, remplaçant le sable rouge.

Ici, tout est sombre, glacial, voué à terrifier les plus courageux. J'en ai vu passer, des détrousseurs à la petite chemise, croyant dur comme fer à certaines de leurs valeurs. Ils ont fui ou sont morts avant de parvenir au second tronçon. J'en ai vu, des têtes arrachées où les yeux aveuglés par la mort laissaient encore transparaître l'effroi de leurs hôtes. Je l'ai vu, je l'ai su... et je suis partie, avant que ces lieux ne me prennent ce qu'il me restait d'humanité. Quand j'y pense, cela me fait bien rire. Je n'ai, après tout, pas une goutte de sang de ce peuple, que je pensais mien pendant si longtemps. Mais aujourd'hui, cela me permet de voir tout plus clairement. Je n'ai plus à espérer passer ces épreuves une fois de plus, car je sais que je vais réussir. Je suis fille d'un Démon et d'un Ange. Et que sont les pièges du Coach face à ceux que m'a réservés Lucifer, durant ces dernières années ?

Rien, absolument rien. Et lorsque la lumière éclate, j'ai déjà les yeux clos, me laissant dominer par mes autres sens. J'exécute une roulade sur ma droite en sentant l'air se déplacer à grande vitesse. Puis j'effectue un pas en avant, jette un coup d'œil autour de moi, et bondis en arrière en rangeant ma hache dans son fourreau. Ici, je n'en aurais nul besoin. Ici, je ne dois compter que sur ma rapidité et la précision de mes gestes. Je n'ai pas le droit à l'erreur, pas à la moindre erreur.

Cette section du tunnel n'est là que pour éliminer les plus lents, les plus faibles d'entre nous. Je peux encore entendre la foule gronder, alors même que le tronçon s'est refermé dans mon dos, me livrant à moi-même. Mes sauts sont de plus en plus rapprochés, à mesure que le système des lames tournant dans le vide m'oblige à resserrer mes actions. Et quand l'obscurité revient, je me force à inspirer à fond en refermant brutalement les paupières. Le geste, si simple en apparence, est difficile sous l'adrénaline, mais je parviens à me libérer de ce sens, rendu définitivement inutile lorsque les faisceaux lumineux se rallument brusquement, dans l'unique but de m'aveugler. La lame vibre quand elle manque de me trancher le nez, mais je réussis à reculer à temps pour le sauver. Immobile, je me sais piégée. Les lames m'entourent, menaçantes dans leur silence, dangereuses dans leur léger sifflement.

Je n'ai pas perdu mes repères dans mon avancée aveugle et sais précisément combien de pas il me reste à franchir pour atteindre la façade de la seconde section. J'ouvre les paupières alors que les flashs se font violents pour me troubler un peu plus. J'analyse rapidement le jeu se balançant devant moi, et ne peux retenir un sifflement d'admiration avant que les lumières ne s'éteignent à nouveau. Depuis mon départ, il semblerait que le Coach soit monté en intensité. Ce n'était déjà pas facile jusqu'à présent, mais il paraîtrait qu'il ait corsé les choses.

Dorénavant, même passer le premier tronçon est un prodige. Mais peut-être n'est-ce qu'une série de pièges expressément concoctée pour moi. Je sais Sullivan bien trop intelligent pour n'avoir rien laissé aux hasards, et le Coach est tout aussi redoutable. Hjort devait savoir que j'accepterais, et ce que sait l'Ogre est immédiatement entendu par le Gobelin. Cela ne me surprendrait pas que le Coach tente de ridiculiser Sullivan, leurs rapports n'ayant jamais été très bons. Et si j'échoue, je ne serais pas la seule à perdre beaucoup aujourd'hui. De ça, le Gobelin en a parfaitement conscience.

Cependant, une chose lui a échappé : ce tronçon est encore bien trop proche du public. Éveillant ma puissance, je la laisse couler le long de mes membres et étire ma toile jusqu'à atteindre les premiers participants de la foule surexcitée. Je cherche un individu bien particulier, et je ne tarde pas à en trouver un, vociférant en me regardant par l'écran de projection circulaire. Retenant un ricanement mauvais, je capture les pouvoirs du Mage, jusqu'à le rendre aussi nu que le premier jour de sa vie. Je sens son visage devenir pâle avant que sa puissance ne m'enveloppe comme un épais manteau.

L'Enfer est un Paradis, TOME 2 : La Rage des VertigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant